The Project Gutenberg EBook of Ma Cousine Pot-Au-Feu, by Leon de Tinseau Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. 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Vous avez bien entendu: par les jesuites, ce qui n'empeche point qu'a la seule pensee de me voir faire ma premiere communion ailleurs qu'" a la maison ", ma mere avait jete les hauts cris. Je me hate de dire qu'elle ne les jeta pas longtemps et que la question fut bientot tranchee selon ses preferences. Mon pere aimait beaucoup la meilleure et la plus sainte des femmes: la sienne, et je crois qu'il aimait presque autant sa tranquillite. Pour fuir une discussion, il aurait fait la traversee d'Amerique, bien qu'il n'eut jamais mis le pied, il le confessait lui-meme, sur un appareil flottant autre que la nacelle ou son garde et lui s'embarquaient l'hiver, afin de chasser les canards. Il s'etait marie quelques annees apres la trentaine, car on ne faisait rien de bonne heure chez nous, du moins en ce temps-la. Ce mariage, fort heureux, fut assurement le seul acte saillant de sa vie, depuis le jour ou il faillit porter la cuirasse ainsi que le faisaient, a dater de saint Louis, tous les Vaudelnay du monde, quand ils n'etaient pas dans les ordres. Mais la revolution de 1830 avait mis fin a cette vieille habitude, et mes arriere-parents, ainsi que leur fils lui-meme, auraient considere que l'honneur du nom etait compromis si l'un des notres avait passe, fut-ce un quart d'heure, au service de Louis-Philippe. Je suppose que mon pere aura connu quelques heures penibles en se retrouvant au chateau de Vaudelnay, triste comme une prison et severe comme un cloitre, apres les deux annees moins severes et moins tristes, vraisemblablement, qu'il venait de passer a l'ecole des Pages. Quoi qu'il en soit, il dut prendre son parti en philosophe, c'est-a-dire en homme resigne, car, a l'epoque de nos premieres relations suivies, j'entends vers la cinquieme ou la sixieme annee de mon age, cette resignation ne laissait plus rien a desirer. A cette epoque, nous etions huit personnes a Vaudelnay, je veux dire huit " maitres " pour employer l'expression consacree, bien que ce titre n'appartint en realite qu'a un seul des habitants du chateau, mon grand-pere, alors deja extremement vieux, mais d'une verdeur etonnante. Autour de lui un frere plus jeune, deux soeurs plus agees, tous trois confirmes dans le celibat, et ma grand'mere que nous respections tous comme un etre surnaturel parce qu'elle avait ete, enfant, dans les prisons de la Terreur, composaient une sorte de conseil des Anciens, honore de certaines prerogatives. Je designais cette portion plus que mure de ma famille sous le nom d'ancetres, dans les conversations frequentes que je tenais avec moi-meme, a defaut d'interlocuteur plus interessant. Les trois autres habitants du chateau, c'est-a-dire mes parents et moi, formaient une caste inferieure, exclue de toute part au gouvernement, voire meme a l'examen des affaires. Mais, comme dans tout etat monarchique bien constitue, chacun des citoyens de Vaudelnay, obeissant et subordonne par rapport au degre superieur de la hierarchie, devenait, relativement a l'echelon place au-dessous, un representant respectueusement ecoute de l'autorite primordiale et souveraine. Cette discipline, harmonieuse a force d'etre parfaite, qui excite encore mon admiration et mes regrets, quand j'y pense aujourd'hui, se manifestait jusque dans la classe nombreuse des domestiques, dont quelques-uns, accables par la vieillesse, devaient causer plus d'embarras qu'ils ne rendaient de services. Mais il etait de regle a Vaudelnay qu'un serviteur ne sortait de la maison que cloue dans son cercueil ou congedie pour faute grave, deux phenomenes d'une egale rarete, grace au bon air, au bon regime et a l'atmosphere de subordination inveteree que l'on trouvait au chateau et dans les dependances. Pour en revenir aux " maitres ", j'etais, cela va sans dire, le seul qui eut toujours le devoir d'obeir, et jamais le droit de commander. Et encore je parle de l'autorite legitime et reconnue, car, en realite, j'exercais une tyrannie occulte sur tous les gens de la maison, a l'exception de la cuisiniere et du jardinier, etres independants et fiers, sans doute a cause de leurs connaissances speciales. Dans notre monarchie en miniature, ils jouaient le role de l'Ecole polytechnique dans la grande famille de l'Etat. Pour penetrer dans la cuisine sans m'exposer a l'epouvantable avanie d'un torchon pendu a la ceinture de ma blouse, il me fallait un veritable sauf-conduit de l'autorite competente. Quant au jardin, toute la partie reservee aux fruits constituait a mon egard un territoire de guerre, constamment infeste par la presence de l'ennemi, c'est-a-dire du jardinier, ou je ne m'aventurais qu'avec des precautions et des ruses d'Apache. Aussi quelles delices quand je pouvais entamer de mes dents intrepides de maraudeur l'epiderme d'une peche verte, ou la pulpe d'une grappe acide a faire danser les chevres! Un des plus beaux souvenirs de ma premiere enfance est un certain automne pendant lequel tout le pays fut decime par le cholera. La terreur generale etait parvenue a ce point qu'on laissait pourrir sur pied tous les fruits quelconques, reputes homicides. Ma bonne chance voulut que, de toute la maison, mon ennemi le jardinier fut le seul qui prit la maladie, dont il rechappa, Dieu merci! J'ai consomme certainement, pendant ces trois semaines fortunees, plus d'abricots et de prunes de reine-Claude que je n'en absorbai et n'en absorberai pendant le reste de ma vie. Que les medecins daignent m'excuser si je ne suis pas mort: ce n'est point ma faute a coup sur. Dans la marche reguliere des evenements, j'etais place sous l'autorite directe de ma mere, soumise elle-meme de la facon la plus complete--en apparence--a l'autorite conjugale. J'ai tout lieu de croire que cette soumission exterieure cachait une realite bien differente, car j'ai connu peu de femmes aussi belles et peu de maris aussi tendres. En dehors des reprimandes solennelles necessitees par quelque mefait serieux, et dont je restais ebranle pendant quarante-huit heures, mon pere n'intervenait dans ma vie que pendant deux ou trois heures de l'apres-midi pour me conduire a la promenade, tantot a pied, tantot en voiture, puis a cheval, des que mon age le permit. Je doute qu'il soit possible d'avoir autant d'adoration, de crainte et de respect tout a la fois pour le meme homme que j'en avais pour lui. On aurait dit, d'ailleurs, qu'il reunissait plusieurs systemes d'education dans une seule personne. Severe, absolu, tres avare de sourires tant que nous etions dans l'enceinte du chateau et du parc, il commencait a s'humaniser, a se derider aussitot que le dernier arbre de l'avenue etait depasse. Quand nous avions perdu les girouettes de vue, c'etait un homme gai, affectueux, caressant, presque de mon age, dont je faisais tout ce que je voulais, en ayant bien soin, toutefois, d'operer au comptant et non pas a terme, car, une fois rentres au chateau, la fantaisie la mieux acceptee tout a l'heure devenait quelque chose de fou et d'inaccessible a l'egal de la lune. La generation superieure ne m'apparaissait guere qu'a l'heure des repas, qui etaient pour moi les deux moments scabreux de la journee. A onze heures toute la famille etait reunie dans la salle a manger. Mon grand-pere presidait, comme de juste, ayant de chaque cote une de ses soeurs, l'une et l'autre ses ainees, restees vieilles filles, faute de n'avoir pu trouver, grace a la ruine de 93, des maris d'assez bonne race. Elles approchaient alors de la quatre-vingt-dixieme annee, et je n'etonnerai personne en disant qu'elles ne brillaient point par la bienveillance. Grandes, majestueuses, droites comme des joncs, l'une brune, l'autre blonde (ce n'est que vers l'age de quinze ans que j'ai appris qu'elles portaient perruque), elles semblaient n'avoir conserve de toute leur existence qu'un seul souvenir, different pour chacune d'elles. L'ainee avait eu l'honneur d'ouvrir le bal a Poitiers en donnant la main a Monsieur, frere du roi, lors de la rentree des Bourbons. L'autre avait tire la duchesse de Berri d'un mauvais pas, lors des soulevements de 1832, en lui faisant traverser les troupes de Louis-Philippe dans sa voiture. Vingt fois j'ai frissonne au recit de cette odyssee menee a bien grace au sang-froid de ma tante qui, dans un moment difficile, avait detourne les soupcons des voltigeurs en ordonnant a la princesse, deguisee en femme de chambre, de lui rattacher son soulier, trait historique dont elle n'etait pas peu fiere. Leur frere, assis de l'autre cote de la table, a droite de ma grand'mere, avait a peine soixante-dix ans. Aussi le traitait-on comme un jeune homme qui n'a jamais rien fait d'utile, car il avait voyage dans divers pays de l'Europe durant les quarante premieres annees de sa vie. L'oncle Jean se posait volontiers en artiste et professait, a propos des derniers evenements de notre histoire contemporaine, cette independance de jugements qu'on apprenait alors a l'etranger, mais qu'on apprend aujourd'hui, si je ne me trompe, sans etre oblige d'aller si loin. De plus, il parlait quelquefois de certaines " belles dames " qu'il avait connues. Dieu sait qu'il etait discret--je ne lui ai jamais entendu prononcer un nom--et qu'il se maintenait dans la plus louable reserve, car les reminiscences qu'il se permettait paraitraient incolores et fades sous les ombrages de la cour des _grandes_ de nos couvents actuels. Neanmoins, je me rendais deja compte que ses frere, soeurs et belle-soeur le consideraient en eux-memes comme un jeune ecervele, sujet a caution sous le rapport de la foi, de la politique et des bonnes moeurs. Pour ce motif inavoue, ce n'est pas sans un secret malaise que les _ancetres_ voyaient mes tete-a-tete avec lui. Sans en avoir l'air, on les rendait aussi rares que possible. Par contre, on le devine, je n'aimais rien tant au monde que d'entendre les histoires de l'oncle Jean. Un jour, en grimpant sur ses genoux et en fourrageant dans sa chevelure encore abondante, j'avais senti comme une moulure poussee dans son crane. --Qu'est-ce qui vous a fait ca, mon oncle? demandai-je. --Une balle de pistolet. --Ah! Pourquoi vous a-t-on tire une balle, mon oncle? --Parce que je me suis battu. --Contre les ennemis? --Non, contre un monsieur. --Qu'est-ce qu'il vous avait fait, le monsieur? --Tu es trop petit pour comprendre. Mais si tu ne veux pas me faire de peine, aie soin de ne jamais parler a personne de ce que je viens de te dire. Bien des annees se sont passees avant que j'aie parle a personne de la cicatrice de mon oncle, et avant que j'aie su " ce que lui avait fait le monsieur ". Si enfant que je fusse alors, je comprenais deja que l'oncle Jean avait en lui quelque chose de mysterieux qui le mettait comme en dehors du reste de la famille. Il s'en detachait par une melancolie constante, non pas, Seigneur! que les autres fussent gais,--il serait aussi exact de dire qu'ils etaient joueurs ou debauches;--mais la tristesse aigue de ce membre de la famille semblait depasser encore l'absence de gaiete qui etait l'etat normal de l'ensemble. Au milieu de ce silence vide de personnes qui se taisaient, la plupart du temps, faute d'avoir une pensee nouvelle a transmettre, le mutisme grave, reveur, voulu de cet homme dont l'intelligence me frappait deja, produisait le contraste d'un reflet sur l'ombre, de la chaleur sur le froid, de la vie sur la mort. D'ailleurs, il suffisait de voir cette figure energique, fatiguee, traversee souvent par des eclairs brusques, bientot reprimes, pour comprendre que l'oncle Jean, a l'oppose de ses collateraux des deux sexes, avait une histoire, une histoire qu'il avait resolu de cacher. C'est sur lui que mes yeux se portaient le plus volontiers durant nos longues seances a table--ces machoires octogenaires n'allaient pas vite en besogne--et quand je le revois en souvenir a sa place, parmi les convives de la grande salle a manger de Vaudelnay, je crois apercevoir une rangee de frontons funeraires, coupee par une facade aux volets clos, derriere lesquels se devine la lampe allumee du sage. De tous les habitants du chateau, mon pere et l'oncle Jean etaient ceux dont les caracteres sympathisaient le moins. Entre eux, des chocs plus ou moins dissimules n'etaient point rares, et je dois avouer que c'etait du cote de mon oncle que les hostilites commencaient le plus souvent, presque toujours sans motif precis, comme il arrive lorsqu'un individu produit sur un autre une impression d'agacement perpetuel. Je me rends compte aujourd'hui que l'oncle Jean reprochait a son neveu de mener l'existence d'un inutile et d'un oisif. Or, de la meilleure foi du monde, mon pere voyait dans ce renoncement volontaire au mouvement de son epoque un titre de gloire, une immolation pleine de merite. --Nous devons obeir au roi! Combien de fois n'ai-je pas entendu repeter cette phrase qui me transportait d'enthousiasme, d'autant plus que je ne la comprenais pas! Cependant le sourire douloureux que j'apercevais alors sur les levres de mon oncle ne laissait pas de troubler secretement la serenite de ma croyance. Parfois les choses n'en restaient pas a ce sourire muet. Deux ou trois repliques breves, sans signification pour moi, etaient echangees, apres lesquelles, des que la retraite etait possible, le baron se cantonnait chez lui comme un general en chef qui, entoure de forces superieures, manoeuvre sur un terrain defavorable. A des intervalles eloignes, il quittait Vaudelnay pour quelques jours, sous pretexte de chasse ou de peche dans le domaine de quelqu'un des rares amis qu'il possedait. Selon toute evidence, il etait pauvre et il mettait une sorte d'orgueil a le dire a qui voulait l'entendre. Un de mes etonnements d'alors cette pauvrete! --Comment l'oncle Jean peut-il etre pauvre? Il mange et s'habille comme nous, habite le meme chateau, monte dans les memes voitures,--rarement il est vrai,--porte le meme nom! Telle est une des questions qui s'agitaient dans ma tete d'enfant et que j'aurais voulu faire. Mais je la gardais pour moi, celle-la et bien d'autres, sachant, par experience, qu'on ne m'accordait pas le droit d'interroger, et ne pouvant deja supporter ce qui m'est encore aujourd'hui l'epreuve la plus insupportable, le refus oppose, par ceux que j'aime, a l'un de mes desirs. Apres tout, se taire n'est point une chose si malaisee. II Tous les soirs, a Vaudelnay, vers le milieu du dessert " des maitres ", la cloche des repas se mettait en branle de nouveau et reunissait les domestiques du chateau dans la salle, dallee de pierres comme une eglise, qui leur servait de refectoire. Cinq minutes apres, ma grand'mere quittait sa place et traversait, suivie de nous tous, l'immense galerie qui separait les appartements des communs. C'etait, en hiver, un veritable voyage, plein de dangers a cause de la difference des temperatures et des courants d'air, voyage qui necessitait l'emploi de mille precautions diverses sous forme de cache-nez, de douillettes, de mantilles de laine et de couvre-chefs, suivant les sexes et les ages. La galerie traversee, le cortege debouchait majestueusement dans une vaste piece, ou le couvert des gens etait mis sur une longue table, eclairee de deux lampes primitives en etain, composees d'une meche brulant dans un recipient plein d'huile. Toute la cohorte des domestiques, une quinzaine de personnes environ, nous attendait debout. La famille s'agenouillait sur des chaises de bois, le long du mur jauni par la fumee, tournant le dos a la table. De l'autre cote de celle-ci, les serviteurs se rangeaient, a genoux sur le pave, ayant devant eux, au premier plan, l'alignement des assiettes de faience et des pots de gres, au second les dos respectables des Vaudelnay de trois generations, succedant a tant d'autres qui, sans doute, avaient prie au meme endroit et dans le meme appareil depuis quatre ou cinq siecles. Mon grand-pere recitait a haute voix les oraisons et les litanies; maitres et domestiques repondaient en choeur, fort devotement. Puis, le signe de croix final trace sur les fronts, il y avait quelques minutes de colloque entre certains membres de la famille et les chefs de service, comme on pourrait les appeler; car les simples soldats de la domesticite (groom, laveuse de vaisselle, fille de basse-cour, aide de lingerie) disparaissaient dans les coins jusqu'au moment ou la soupe, deja fumante dans l'enorme soupiere, etait distribuee aux convives par la puissante main de la cuisiniere. Pendant ces minutes qui tenaient lieu du _rapport_ au regiment, la journee du lendemain s'arrangeait. Mon grand-pere conferait avec le garde; ma grand'mere donnait un dernier ordre a la femme de charge; mon pere commandait au cocher les sorties du jour suivant; ma mere causait fleurs et fruits avec le jardinier, mon ennemi, qui m'avait jure ses grands dieux le matin qu'il me denoncerait le soir, et ne me denoncait jamais, l'excellent homme! Mais quels moments d'angoisse et comme je comprenais les regards de ce tyran qui me tenait sous sa merci! Parfois mon grand-pere elevant la voix annoncait officiellement un evenement de famille, recommandait la sagesse a la fete du village pour le lendemain, deplorait un malheur survenu dans quelque ferme: grele, epidemie de betail, fils aine tombe au sort. --Allons! bonsoir, mes amis! concluait-il les jours ou il etait en belle humeur. Et l'on entendait cette reponse, formulee presque a voix basse, dans un murmure respectueux: --Bonsoir, monsieur le marquis. Nous regagnions alors le salon, a travers la Siberie du long corridor ou grelottaient les chevaliers sous leurs cuirasses et les dames sous leurs baleines. Pres du grand feu, nous retrouvions mes tantes qui n'avaient point d'ordres a donner, les pauvres! ne possedant, en ce monde,--j'ai su pourquoi depuis,--que ce qu'elles recevaient, comme une chose toute simple, de la fraternelle generosite de mon grand-pere. Nous y retrouvions aussi l'oncle Jean, qui n'assistait jamais a la priere, circonstance tellement grosse de mystere a mes yeux, que je n'avais jamais eu le courage de faire aucune question sur ce sujet redoutable. Mais, si je ne disais rien, j'observais davantage, et les faits qui frappaient mes yeux ne laissaient pas de me rendre perplexe quant a l'orthodoxie de l'oncle Jean. Le dimanche, il est vrai, jamais on ne l'avait vu manquer la messe, dont il attendait le dernier coup avec impatience, car il avait la manie d'etre toujours pret une demi-heure trop tot. Mais il dormait au sermon, et Dieu sait qu'il fallait une forte propension au sommeil pour le gouter sur le chene poli par les siecles du banc armorie de la famille. Au bout de vingt minutes, regulierement, l'oncle Jean s'eveillait, circonstance qui coincidait en general avec la peroraison peu variee de l'homelie. Que si notre bon cure s'oubliait en son eloquence, M. le baron tirait de son gousset une montre enorme, dont la repetition s'entendait d'un bout de l'eglise a l'autre, et la faisait sonner impitoyablement. A ce signal connu, qui faisait fremir toute la pieuse assemblee, le pauvre abbe Cassard se hatait de regagner l'autel, nous laissant tous, quelquefois, aux prises avec la tempete, sans se donner le loisir de nous conduire au port sacre dont, heureusement, nous savions tous le chemin. Invariablement, du samedi de la Passion au lundi de Quasimodo, cet auditeur recalcitrant disparaissait, sans que l'on put dire quel etait le but de son voyage, et, grace a cette circonstance, il etait impossible de repondre d'une maniere peremptoire a cette question: --L'oncle Jean fait-il ses Paques? Toutefois le cure du village, qui dinait au chateau tous les dimanches, le traitait avec consideration, voire meme avec respect. Chose plus remarquable encore, durant la partie de boston qui s'organisait ce jour-la en sortant de table, et dont je ne voyais jamais que le commencement, ainsi qu'on pense, mon oncle ne menageait pas les invectives les plus severes a l'abbe Cassard quand il l'avait pour partenaire. Car le baron etait celebre dans toute la province pour avoir appris et joue le whist en Angleterre, de meme que pour avoir etudie la valse en Allemagne et la peinture en Italie. --Malgre tout, me disais-je, un pecheur endurci ne saurait inspirer tant d'estime a un pretre et, surtout, il n'oserait le tancer aussi vertement pour avoir coupe sa carte maitresse. III J'allais sur mes douze ans, et ce meme cure me preparait a ma premiere communion en meme temps qu'il m'enseignait les elements du latin et du grec, lorsqu'arriva le premier evenement serieux qui eut trouble, depuis ma naissance, la paix tant soit peu monotone ou dormaient le chateau et ses habitants. Un matin, bien que le samedi de la Passion fut encore tres eloigne, la place de l'oncle Jean resta vide a table, et je fus informe qu'il etait parti pendant la nuit pour l'Angleterre. Toute la journee la famille fut en proie aux preoccupations les plus vives. Mon grand-pere semblait tout a la fois fort courrouce et fort attendri; ma grand'mere et ses belles-soeurs avaient les yeux rouges et faisaient de grands soupirs. Elles passerent la moitie du temps prosternees devant l'autel de la Vierge, a cote duquel un grand cierge de cire etait allume. Fidele a mon systeme, je m'abstins de toute question, mais j'attendais avec impatience l'heure de la priere, supposant que nous aurions un message du gouvernement, c'est-a-dire une communication quelconque adressee par mon grand-pere a l'assistance. Il me revient encore aujourd'hui un leger frisson, quand je pense a ce que fut, ce soir-la, notre diner de famille dans la grande salle a manger deja rafraichie par les premieres aigreurs de novembre. Ce n'etait pas, comme on pourrait le croire, que chacun restat en contemplation devant son assiette vide. Les Vaudelnay, de vieille et forte race, n'avaient rien de commun--surtout alors--avec les nevroses de l'epoque actuelle, dont l'appetit s'en va s'ils ont perdu cent louis aux courses, ou si quelque belle dame les a regardes d'un oeil moins clement. Nous mangions, Dieu merci! Mais nous mangions au milieu d'un silence de mort, trouble seulement par les craquements du parquet gemissant sous les chaussons de lisiere des domestiques. Les _ancetres_ etaient absorbes a ce point que je pus,--chose qui ne m'etait jamais arrivee,--refuser des epinards sans m'attirer cette argumentation entachee de sophisme, devant laquelle, tant de fois, j'avais cede, non sans appeler de tous mes voeux l'age de mon emancipation: --Si tu ne manges pas d'epinards, c'est que tu n'as plus faim. Si tu n'as plus faim, tu ne mangeras pas de dessert. Ironiques inconsequences de la nature humaine! Je suis majeur, helas! depuis trop longtemps.... J'adore les epinards, et le dessert n'a plus d'attraits pour moi. Il est acheve a tout jamais, le dessert de ma vie! Le diner se termina, comme a l'ordinaire, par ce bruit de cascades qui, a cette epoque, deshonorait encore les tables des gens bien eleves, et nous partimes pour " la Siberie " dans un appareil dont la gaiete rappelait celle du fils de Thesee lors de la derniere promenade de l'infortune prince. Le long du chemin, ma grand'mere adressa la parole a son mari sur le ton de la priere, sans beaucoup de succes, autant que je pus le voir. J'entendis qu'elle insistait: --Mais apres tout, mon ami, c'est une chretienne et c'est notre niece! Dans l'office tout se passa selon le rite habituel. Toutefois, apres la derniere oraison, au lieu de faire le signe de croix final, mon grand-pere demeura quelque temps penche sur sa chaise. On aurait dit qu'il luttait contre lui-meme. Tout a coup, relevant la tete, il dit d'une voix moins assuree: --Nous allons reciter un _Pater_ et un _Ave_ pour la guerison de...d'une malade de la famille. Ce fut tout. Mais au bruit de mouchoirs qui s'eleva derriere nous parmi les domestiques du sexe faible, je compris que le jeune Antoine-Rene-Gaston de Vaudelnay etait le seul a ne pas savoir de quelle malade il s'agissait. D'autres, a ma place, n'auraient pu se tenir plus longtemps de faire des questions. Pour moi, dont les meilleurs amis critiquent le caractere opiniatre, le resultat fut tout different. J'aurais vu demolir pierre par pierre le chateau sans ouvrir la bouche pour demander la cause du cataclysme. Au fond, je m'attendais a ce que les explications viendraient d'elles-memes, en quoi je me trompais. Evidemment mon fier silence faisait les affaires de tout le monde. Deux autres jours se passerent ainsi, avec de nouveaux cierges de cire a l'eglise et de nouveaux _Pater_ a la priere du soir. Le troisieme jour, un telegramme arriva d'assez bon matin, et toute la famille, sauf moi bien entendu, se reunit presque aussitot dans le cabinet de ma grand'mere, fait absolument sans exemple, car, entre l'heure de la messe et celle du dejeuner, le sanctuaire ne s'ouvrait pour personne sauf la cuisiniere, la femme de charge, le charretier charge des commissions a la ville, et les religieuses du village preposees au soin des malades et des pauvres. Mais, ce jour-la, toutes nos habitudes semblaient bouleversees. Le dejeuner fut retarde d'un gros quart d'heure, et ma mere partit pour Poitiers apres une longue conversation avec sa belle-mere et ses tantes. Merinos, crepe, drap noir, couturiere, modiste, gants de filoselle, ces mots significatifs avaient frappe mes oreilles pendant une heure. Quelqu'un de proche etait mort, mais qui? Ce n'etait pas mon oncle, car j'avais entendu cette phrase prononcee par ma grand'mere: --Je pense que ce pauvre Jean va revenir tout de suite. Le soir, a la priere, mon grand-pere dit, pour toute oraison funebre: --Nous allons reciter un _De profundis_ a l'intention de ma niece qui sera enterree demain en Angleterre. A ce seul mot de _De profundis_, quelques sanglots eclaterent discretement, mais non pas chez " les maitres ". Selon toute apparence, ma grand'mere et mes tantes avaient pleure toutes leurs larmes en leur particulier, car leurs yeux etaient fort rouges. D'ailleurs, s'abandonner a l'emotion devant les domestiques, c'etait une petitesse dont l'idee ne leur serait pas venue. Quant a moi, je savais a cette heure qu'une mienne parente venait de mourir en Angleterre; mais c'etait tout. Le degre de la parente, le nom, l'age, l'etat civil de la defunte, autant de mysteres pour moi. Au fond du coeur, j'etais revolte de cette ignorance ou l'on me laissait. Le soir, en me deshabillant, ma mere me fit essayer un costume de deuil. A ce coup, je ne pus y tenir plus longtemps. --Ce sera sans doute la premiere fois, dis-je d'un air sombre, que l'on verra quelqu'un prendre le deuil sans savoir le nom de la personne qui vient de mourir. --Comment! s'ecria ma mere. Personne ne t'a rien dit? --Non, repondis-je; mais je ne demande rien. Que les autres gardent leurs secrets; moi je garderai les miens, quand j'en aurai. Dieu sait que la menace, de longtemps, n'etait pas dangereuse. Neanmoins ma mere, prise d'emotion, de remords peut-etre, m'attira sur ses genoux et m'embrassa. --Mon cher enfant! s'ecria-t-elle, on ne t'a rien dit! C'est que, vois-tu, nous avons tous ete si...si troubles...a cause du pauvre oncle Jean. --Mais enfin, qui est mort? demandai-je, renoncant pour cette fois a mon expectative hautaine. --C'est sa fille qui est morte. --L'oncle Jean etait marie? Ma pauvre mere leva les yeux vers le ciel avec l'angoisse d'un pilote egare parmi les ecueils, cherchant sur la cote la lueur salutaire du phare. --Il a ete marie longtemps, repondit-elle. Ta tante est morte, ne laissant qu'une fille, celle qui vient de mourir a son tour. --Comment donc, demandai-je, resolu a tout savoir pendant que j'y etais, comment donc se fait-il qu'on ne m'ait jamais parle de la vie ni de la mort de ma tante? Comment s'appelait-elle? Ne demeurait-elle pas a Vaudelnay? L'idee d'un membre quelconque de la famille habitant ailleurs qu'au chateau, mais, par-dessus tout, l'idee de l'oncle Jean marie, pere, me plongeaient dans une surprise qui restera l'une des plus considerables de ma vie. Ma mere me repondit: --Ton oncle avait epouse une jeune fille italienne dans un de ses voyages. Ta tante n'est jamais venue ici. Personne de la famille ne l'a jamais vue. --Mais sa fille, celle qui vient de mourir? demandai-je. --Celle-la non plus. Il ne faut pas en parler, surtout a ton oncle, quand il sera de retour. J'ouvrais deja la bouche pour un _pourquoi_ passablement justifie, il faut en convenir, mais je devinai sur le visage de ma mere un tel sentiment de contrariete a la seule idee de cette question prevue, que je renoncai a en savoir davantage pour le moment. D'ailleurs, ce qui se passait depuis quatre jours, ce que j'avais appris ce soir-la etait deja pour mon esprit une pature suffisante. Enfin j'avais pour ma mere une veritable adoration, et la crainte de lui deplaire, a defaut de la discipline severe ou j'etais eleve, m'aurait ferme la bouche. Feignant un calme que je n'avais guere, je repondis: --C'est bien, maman, je ne dirai rien. Soyez tranquille! Un de ces bons baisers, tant regrettes a l'heure ou ils manquent, me recompensa de ma soumission, et je fis semblant de m'endormir. Mais, de toute la nuit, je ne pus fermer l'oeil, et, dans l'obscurite de ma chambre d'enfant, je voyais toujours " la femme de l'oncle Jean ", l'Italienne qu'aucun membre de la famille n'avait jamais connue. Je me la figurais, d'apres une gravure d'un de mes livres, tres brune, avec de grands yeux noirs et de lourdes nattes retenues par les boules d'or de deux epingles. Je l'apercevais distinctement, avec sa serviette pliee en carre sur sa tete, son collier de corail au cou, son corsage blanc aux manches bouffantes, et le panier rempli de fleurs qu'elle portait, sans doute pour son agrement, car il m'etait impossible d'admettre que la baronne de Vaudelnay vendit des roses comme la premiere Transteverine venue. Au jour naissant, le sommeil s'empara de moi pour une heure, et lorsqu'on vint me reveiller pour la messe, qui reunissait chaque matin la plupart des habitants du chateau, il me sembla que je sortais d'un reve complique et fatigant. Mais en voyant, un quart d'heure plus tard, des flots d'etoffe noire s'engouffrer dans le banc de famille, en apercevant les ornements funebres sur les epaules du cure, dont j'etais regulierement l'acolyte, il me fallut bien me rendre a l'evidence. D'ailleurs, sauf l'absence de l'oncle Jean, la couleur de nos costumes et une recrudescence effroyable dans la severite de la discipline, rien n'indiquait que les Vaudelnay venaient de perdre un des leurs, et ma pauvre cousine,--j'aurais eu bien de la peine a la designer par son prenom,--ne faisait guere plus de bruit apres sa mort qu'elle n'en avait fait pendant sa vie. Mais cette tranquillite trompeuse ne devait pas durer longtemps. IV Deux jours apres, une heure avant le diner, la nuit deja tombee, j'etais dans le vestibule, occupe a la manoeuvre de mes soldats de plomb, lorsqu'une voiture s'arreta devant la porte. Au bruit des grelots feles, j'avais reconnu un carabas de louage de la ville; je sortis precipitamment, laissant mes troupes se tirer d'affaire toutes seules, pour savoir qui venait chez nous si tard sans etre attendu. J'avais oublie tout a fait l'oncle Jean, disparu deja depuis plus d'une semaine. C'etait lui, mais j'eus peine a le reconnaitre sous les manteaux et les cache-nez qui le couvraient. Aussi bien, depuis que je savais son histoire, un peu superficiellement, il faut l'avouer, il me semblait que ce n'etait plus le meme homme. Ce fut donc avec une sorte de timidite que je m'avancai vers lui pour lui souhaiter la bienvenue; mais il parut a peine faire attention a moi. --Bonsoir, bonsoir! me repondit-il en me tournant le dos, pour prendre dans les profondeurs tenebreuses de la voiture un paquet lourd et volumineux que lui tendit une ombre a peine visible. Il monta, non sans un peu d'effort, les marches du perron, tandis que l'ombre, une ombre feminine autant qu'on pouvait en juger, mettait pied a terre a son tour. --Ouvre-moi la porte du salon, commanda-t-il d'une voix breve. J'obeis; nous entrames dans la vaste piece a peine eclairee par une lampe brulant sous son abat-jour au milieu de l'immense table. Mon oncle se dirigea vers un canape, y deposa son fardeau, ecarta quelques plis d'etoffe et j'apercus, on devine avec quelle surprise, une petite fille endormie. J'eus peine a retenir un cri d'effroi, d'abord parce que l'enfant, dans une immobilite rigide, avait l'air d'une morte, et ensuite parce que mon pauvre oncle, cite dans toute la province, huit jours plus tot, pour sa verdeur etonnante, semblait avoir tout a coup vieilli de vingt ans. Il etait brise, courbe, deforme, pour ainsi dire, comme il arrivait a mes soldats de plomb lorsque, d'aventure, mon pied se posait sur eux. Son beau visage, naguere si plein d'une energie que certains jugeaient trop hautaine, s'etait detendu comme un masque mouille. On n'y lisait plus qu'une sorte d'humilite douloureuse, un doute de soi-meme et de toutes choses, navrants meme pour un observateur aussi peu profond que je l'etais alors. Je restais la, les yeux et la bouche ouverts, ne sachant que dire et que faire, plus attriste que curieux, sentant que j'allais fondre en larmes si la situation se prolongeait encore une minute. Fort heureusement mon oncle y mit fin en me disant d'une voix qui me parut tres dure: --Monte chez ta grand'mere et prie-la de venir ici toute seule; toute seule, tu entends? Vas vite, ne dis rien de plus. J'escaladai l'immense escalier en quelques bonds. Je me sentais devenir a la fois tres grand, a cause du role que le hasard me donnait dans ce qui me paraissait un drame a peine vraisemblable, et tres petit par le sentiment que j'avais de mon inexperience et de ma faiblesse en face de ces evenements inouis. --Grand'mere, m'ecriai-je tout essouffle, oubliant un peu l'etiquette respectueuse qui etait de regle a Vaudelnay, il faut descendre au salon, tout de suite, tout de suite! Et surtout n'amenez personne. Ah! mon Dieu! si vous saviez!.... Une jeune femme, a ce message delivre si prudemment, serait tombee dans une crise de nerfs. Mais ma vaillante aieule en avait vu bien d'autres, comme beaucoup de ses contemporaines. Elle se leva de son fauteuil, remit dans sa poche quelque chose qui, sans doute, etait son chapelet, et m'examinant de la tete aux pieds, me demanda: --Qu'y a-t-il donc? Une visite? --L'oncle Jean! repondis-je en mettant un doigt sur mes levres, et en parlant presque a voix basse. La-dessus je m'eloignai, ou pour mieux dire je m'enfuis, trouvant que c'etait encore le meilleur moyen de n'etre pas oblige de " dire autre chose ". Dans le fond de moi-meme, j'etais assez flatte de renverser les roles. A cette heure, c'etait moi qui laissais les autres se creuser la tete et qui refusais de repondre a leurs questions. Pour etre franc, j'avais peu de merite a ne pas y repondre. D'ou tombait cette petite fille endormie? Au retour de chacun de ses voyages, l'oncle Jean,--c'etait une habitude chez lui,--rapportait a Vaudelnay quelque animal exotique, generalement assez mal recu. Serins de Hollande, marmottes des Alpes, chiens des Pyrenees, tortues d'Egypte, singes d'Algerie, j'avais vu successivement tous ces echantillons du regne animal sortir de ses bagages. Mais une petite fille! c'etait du nouveau, et tout en redescendant l'escalier sans fermer les portes derriere moi,--decidement nous etions en pleine anarchie,--je me demandais: --Va-t-on lui faire, a elle aussi, une cage ou j'irai lui porter du lait et des coeurs de laitue, a l'heure de mes recreations? Quand je rentrai dans la piece, la nouvelle acquisition de l'oncle Jean dormait toujours, et son proprietaire, agenouille devant le canape, la devorait des yeux. De temps en temps il echangeait des sons inintelligibles avec une femme d'aspect modeste, encore jeune, coiffee d'un objet bizarre en paille noire, qui se tenait debout, le regard fixe sur l'enfant, sans faire plus d'attention a ce qui l'entourait, voire meme a mon humble personne, que si elle eut ete la depuis dix ans. L'oncle Jean, a la fois radieux et absorbe, semblait ravi dans l'extase de la priere, et je ne pus m'empecher de me dire que je ne l'avais jamais vu si devot, meme le dimanche, au moment de l'elevation de la messe. Nous etions la, ranges comme les animaux de la Creche autour de l'enfant Jesus, quand ma grand'mere fit sont entree. Mon oncle resta comme il etait, mais il fit un quart de conversion sur ses genoux, si bien que ce fut a la chatelaine de Vaudelnay qu'il semblait, a cette heure, adresser sa priere. --Ma soeur, dit-il, d'une voix tres douce, presque craintive (et cependant je voyais le sillon trace par la balle dans le crane de ce pusillanime), ma soeur, _elle_ avait une petite fille. Voulez-vous, pour la grace du bon Dieu que vous aimez tant, recevoir chez vous la pauvre orpheline sans abri? J'ai vu depuis, dans plus d'un oeil feminin, les eclairs des passions, des tendresses, des enthousiasmes qui peuvent y luire, effrayantes ou sublimes. Jamais je n'ai vu la bonte, la compassion, la charite avec sa douce flamme, embellir a ce point un visage reste plein de grace sous ses cheveux blancs. O grand'mere, comme je vous remercie d'avoir fait comprendre a ma jeune tete blonde ce que ma vieille tete grise croit encore aujourd'hui, elle qui a desappris tant d'autres articles de foi du symbole humain! Oui, toutes les raisons qui peuvent nous faire tomber a genoux devant les femmes, la meilleure de toutes est leur bonte--quand elles sont bonnes. On n'arrive pas a onze ans, meme dans un chateau du Poitou sous la deuxieme republique, sans avoir lu beaucoup d'histoires d'enfants recueillis par des ames charitables, et Dieu sait qu'il n'existait pas, de Tours a Angouleme, une chretienne plus charitable que la marquise de Vaudelnay. Je m'attendais donc, surtout apres le regard que je viens de decrire, a voir ma grand'mere etreindre sa petite niece dans ses bras, car je comprenais bien que c'etait la petite-fille de mon oncle, ma cousine issue de germains, qui dormait la d'un sommeil deja resigne, comme un agneau separe le matin de sa mere. J'avais envie de crier a mon oncle: --Mais relevez-vous donc! On dirait que vous demandez quelque chose de difficile! Probablement que le pauvre baron savait mieux que moi la difficulte de ce qu'il demandait, car il restait a genoux, un oeil sur le visage de l'enfant ou les premieres contractions du reveil se manifestaient, l'autre sur ma grand'mere qui, a cette heure, semblait reflechir. Ah! si l'on m'avait dit la veille que " notre maitresse ", ainsi que l'appelaient les villageois, aurait eu besoin de _reflexion_ pour accueillir non pas une pauvre orpheline sortie du sang des Vaudelnay, mais la fille de la plus inconnue des mendiantes! Comme si elle avait voulu gagner du temps, ma grand'mere fit cette question que je ne pus m'empecher de trouver au moins inutile dans la circonstance: --Mon pauvre Jean, pourquoi ne nous avez-vous pas dit qu'_elle_ avait une fille? L'oncle repondit en serrant les machoires, comme s'il avait broye ses paroles avant de les laisser sortir: --Tout simplement parce que je n'en savais rien. --Pauvre mignonne! Elle vous ressemble. J'avais toujours _considere_ les jugements de ma venerable aieule comme infaillibles; mais, cette fois, le doute penetra dans mon ame. Si ce petit visage rose entoure de cheveux noirs emmeles ressemblait a cette figure aux tons de parchemin, coupee durement d'une moustache grise, surmontee d'une chevelure taillee en brosse, on pouvait aussi bien dire que je rappelais les diables cornus sculptes dans le portail de Sainte-Radegonde. --Attendez-moi, dit soudain ma grand'mere; je vais parler a celui qui est le maitre ici. Esperons qu'il cedera. Sur ces entrefaites, l'enfant s'etait eveillee et tournait autour d'elle, sans remuer la tete, des yeux effares, si noirs qu'on aurait dit deux petits globes de charbon nageant dans deux cuillerees de lait. Mon aieule demanda: --Comment se nomme la petite? --Rosamonde. Je vis que ce nom bizarre ne produisait pas une impression excellente sur celle qui l'entendait. Neanmoins la chatelaine se penchait tendrement sur sa petite-niece pour l'embrasser, lorsque l'enfant, a la vue de ce visage inconnu qui s'approchait du sien, se mit a pousser des cris de Melusine. --Pour l'amour du ciel, faites-la taire! s'ecria ma grand'mere en se retirant, un peu decouragee. Moi je pensais: --Rosamonde, ma chere, vous faites une fameuse betise pour vos debuts a Vaudelnay. Ne pas vouloir embrasser grand'mere! Deja la femme au chapeau de paille noire s'etait approchee de sa pupille et cherchait a l'apaiser, en lui parlant dans cette meme langue mysterieuse. --Attendez-moi, repeta mon aieule. Je vais parler a mon mari. Toi, Gaston, va travailler a tes devoirs jusqu'au diner. V Tout on faisant semblant de travailler, je pretais l'oreille pour deviner le sort de la pauvre Rosamonde, mais le chateau etait si grand qu'on aurait pu donner un bal a une extremite, et celebrer des funerailles a l'autre, sans que les invites respectifs a chacune des ceremonies en eprouvassent la moindre gene. Toutefois quand j'entrai dans la salle a manger, une bonne heure plus tard, je crus comprendre que tout etait arrange pour le mieux. A l'autre bout de la longue table, en face de ma chaise, un fauteuil d'enfant tres haut sur pieds, ma propriete d'autrefois, supportait deja mademoiselle Rosamonde. Et telle etait la discipline severe de Vaudelnay que tout le monde prit sa place sans paraitre faire attention a la nouvelle venue qui, tout au contraire, devisageait avec une sorte d'effroi--silencieux, Dieu merci!--toutes ces figures inconnues. Elle mangeait sans rien dire, d'assez bon appetit, servie par sa gouvernante, couvee a la derobee par les regards de huit paires d'yeux ou plutot de sept, car le chef de la famille ne tourna pas une seule fois le visage du cote de la pauvrette. A la fin, elle prit le parti de s'endormir, a mon grand effroi, car je savais par experience de quels chatiments une pareille infraction aux convenances etait punie. J'aurais voulu etre a cote d'elle pour la pincer et lui epargner les desagrements qui l'attendaient. Mais il faut croire que, pour ce premier soir, l'amnistie etait prononcee d'avance, car personne n'eut l'air de rien voir. Le moment venu de se rendre a l'office pour la priere, mon oncle dit quelques mots en anglais--j'ai fait depuis de serieux progres dans cette langue--a la gouvernante de sa petite-fille, qui fut doucement tiree de son sommeil. Tous trois, alors, se dirigerent vers la porte de droite qui conduisait aux appartements, tandis que le reste de la famille gagnait la porte de gauche, celle de la galerie. A ce moment, la crise reculee ou dissimulee jusqu'a cette heure eclata, lorsque personne ne l'attendait. Mon grand-pere s'arreta court, se tourna vers le groupe des dissidents et d'une voix d'autorite qu'on entendait rarement, que je n'entendais jamais sans frissonner de tous mes membres, il demanda: --Pourquoi cette enfant ne vient-elle pas prier avec tout le monde? Un leger tressaillement se fit voir sur les traits de l'oncle Jean, comme a l'approche d'un danger. Il repondit ces paroles qui tomberent lourdement au milieu du silence general: --Parce qu'elle est protestante, mon frere. On peut etre certain, dans le sens le plus rigoureux du mot, que les murs du chateau n'avaient rien entendu de semblable jusqu'a cette heure. Dieu me garde de reveiller des souvenirs sur lesquels vont s'entasser rapidement, desormais, les couches de poussiere des generations devenues indifferentes. Si j'ai lieu d'etre fier de l'histoire des Vaudelnay a toutes les epoques, je ne crains nullement d'avouer que j'en effacerais de bon coeur plus d'un episode, par trop accentue dans le sens contraire aux principes religieux professes alors par la pauvre Rosamonde. Mes aieux avaient la main lourde quand ils estoquaient au nom du roi; mais quand la religion se mettait de la partie, leur main devenait massue, et gare a qui passait a portee des coups! En ces temps-la je n'aurais pas donne une drachme de la vie d'un des notres, s'il eut ose faire, en face du chef de la famille, une profession de foi du genre de celle que je venais d'entendre. Pour tout le monde, le siecle avait marche et le regne de Louis-Philippe, sur bien des points, n'avait eu que des rapports eloignes avec ceux de Charles IX et de Louis XIV. Mais mon grand-pere en etait encore, lui, a peu de chose pres, a la revocation de l'Edit de Nantes, car, depuis la prise de la Bastille survenue quand il avait vingt-cinq ans, l'horloge de l'histoire semblait s'etre arretee chez nous, comme il arrive dans les maisons secouees par un tremblement de terre. Il est probable que le cher vieillard ne fut guere plus ebranle par la nouvelle du supplice de Louis XVI qu'il ne le fut ce soir memorable ou il apprit que la petite-fille de son frere etait protestante. Il va sans dire que j'etais incapable de faire alors les reflexions qui precedent. Mais je sens encore aujourd'hui le frisson qui passa dans mes epaules au regard que le chef de ma famille jeta sur l'innocente renegate. Heureusement, dans cette generation, l'on restait maitre de ses nerfs meme en presence de l'echafaud. Mon grand-pere ne dit pas un mot; sans doute parce qu'il sentait sur ses levres un mot irreparable et qu'il voulait se recueillir avant de rendre sa sentence. La troupe fidele reprit sa route vers la terre promise de l'office ou l'on allait prier, precedee, en guise de colonne de feu, par le vieux Francois portant une des lampes. Le trio rebelle continua sa route vers le desert du salon et, comme j'etais d'assez grande force en histoire sainte, je ne pus m'empecher de comparer le sort de mon oncle a celui d'Agar, disparaissant avec son fils dans la profondeur des solitudes desolees. La priere eut lieu comme a l'ordinaire, sauf que l'examen de conscience fut prolonge par mon grand-pere dans des proportions absolument invraisemblables. N'ayant pas, a cette epoque, une provision d'iniquites suffisante pour m'occuper si longtemps, je pensais a ma jeune cousine. --Pauvre petite! me disais-je. Comme il est dur de penser qu'elle grillera dans l'enfer pendant l'eternite, de compagnie avec le chapeau de paille noir de sa bonne, tandis que j'aurai en partage les joies du paradis, moi et tous ceux qui sont agenouilles la, par terre ou sur des chaises, meme le jardinier mon ennemi auquel, je l'espere du moins, Dieu fera la grace de pardonner avant sa derniere heure! Ainsi qu'on peut le voir, je n'etais pas, en theologie, de l'ecole des liguoristes, puisque je damnais la pauvre Rosamonde sans aucune remission, sur sa seule qualite d'heretique. Mais son sort en ce bas monde etait moins facile a regler. --Jamais, pensais-je tristement, on ne lui permettra de passer la nuit sous le meme toit que nous. Que deviendra-t-elle? Sur quelle pierre, sous l'abri de quel buisson reposera-t-elle sa tete? Aussi, quelle idee d'etre protestante! Je revins au salon avec tout le monde, le coeur affreusement serre, m'attendant a quelque execution terrible. Heureusement nous ne trouvames dans le desert du grand salon ni Agar ni Ismael, c'est-a-dire ni l'oncle Jean, ni la petite Rosamonde, ni sa bonne. Je dois meme dire, pour rendre justice a tout le monde, que ma satisfaction sembla partagee par toute la famille, a commencer par mon grand-pere. Malgre tout ce que j'ai dit, le saint vieillard aurait ete le plus malheureux des hommes, j'en suis sur, s'il avait du, cette nuit-la, recommencer la Saint-Barthelemy pour son compte, en mettant sa petite-niece a la porte. Les autres membres de la famille, meme les _ancetres_, n'etaient pas plus fanatiques, aussi personne n'eut garde de faire la moindre allusion aux drames de la soiree. Pour ma part, je n'en soufflai mot a etre vivant jusqu'a l'heure, bientot venue, ou je me trouvai seul avec ma vieille Justine. --Ou est-_elle_? demandai-je tout bas, comme si nos murs n'avaient pas eu, pour etre sourds, les meilleures raisons du monde. --Pauvre petite! elle dort deja. _Madame la Mere_ lui a fait preparer un lit au deuxieme etage de la petite tour, au-dessus de l'appartement de M. le baron. Nous sommes toutes allees la voir par l'escalier derobe, mais M. le baron monte la garde a sa porte et ne veut laisser entrer personne. Il ressemble a un lion qui defend ses petits. Je me demande ou Justine avait jamais pu voir un lion dans l'exercice de ses fonctions paternelles, mais cette comparaison vigoureuse ne laissa pas de me frapper vivement l'imagination. Toute la nuit je revai de Rosamonde. Je la voyais dormir sous un arbre bizarre qui etait sans doute un palmier, gardee par un monstre a criniere qui avait les yeux noirs et la moustache en brosse de l'oncle Jean. Au moment ou j'ecris ces lignes, elle repose encore, la chere creature, non loin de la petite tour ou elle dormit si bien cette nuit-la, et c'est toujours l'oncle Jean qui la garde.... Que de douleurs et que de joies, que de larmes et que de sourires ont passe entre ces deux sommeils! Pauvre cher oncle Jean! veillez bien sur l'orpheline en attendant qu'un autre aille prendre place et faire bonne garde, lui aussi, pres de celle qui fut tant aimee! VI Les gouvernements forts ne laissent rien voir a l'exterieur des crises qui, fatalement, les troublent quelquefois, sans atteindre leurs organes essentiels. Repressions vigoureuses, prudentes concessions, reformes prevoyantes, tout s'accomplit sans bruit, sans agitation, sans efforts, et l'apparition meme de personnages nouveaux n'inspire aux citoyens qu'une curiosite bienveillante. Ainsi se passaient les choses a Vaudelnay. Je n'ai jamais su et ne saurai jamais quelles explications furent echangees entre l'oncle Jean et son frere. La discussion fut-elle violente, ou l'autorite souveraine ceda-t-elle facilement? Les conseillers de la couronne eurent-t-ils besoin d'intervenir? Les echos du cabinet de ma grand'mere, endormis depuis longtemps, pourraient seuls me l'apprendre aujourd'hui, car ce cabinet avait des portes epaisses, et _les ancetres_, dans les moments les plus chauds, parlaient toujours sur le ton discret de la bonne compagnie. Tout ce que je puis dire, c'est que le lendemain, sur le coup d'onze heures, le baron vint prendre sa place a table tenant Rosie par la main et suivi de l'inevitable Lisbeth. Ce diminutif aussi anglais que salutaire de Rosie, employe des lors par mon oncle quand il adressait la parole a sa petite-fille, fut adopte immediatement par les _jeunes_, c'est-a-dire par mes parents et par moi. Il en fut de meme pour les domestiques, sauf pour la cuisiniere, invariablement rangee du parti des _ancetres_. Ceux-ci, jusqu'a leur derniere parole ici-bas, n'appelerent jamais leur jeune parente autrement que Rosamonde, sans lui faire grace d'une lettre. En y reflechissant,--et je n'ai eu que trop le temps de reflechir depuis l'epoque dont je parle,--je me suis demande si la pauvrette n'aurait pas ete plus heureuse, dans n'importe quel asile d'enfants trouves, qu'elle ne le fut a Vaudelnay, du moins pendant les premieres semaines. Au vieux manoir, l'existence etait souvent sombre, meme pour moi, l'enfant de la promesse. Or mon grand-pere et ses deux soeurs professaient contre " l'Anglais " cette haine feroce dont l'autre haine, celle qui nous gonfle le coeur aujourd'hui, ne peut donner qu'une legere idee. Joignez a cela que le seul mot d'heretique faisait luire a leurs yeux tout a la fois les flammes de l'enfer, celles du bucher de Jeanne d'Arc, et, plus pres de nous, les reflets sanglants de l'incendie allume a Vaudelnay par l'amiral de Coligny, pendant les guerres de religion du regne de Charles IX. Comme de juste, dans ma jeune ardeur fraichement avivee par mes etudes historiques tant soit peu entachees d'exclusivisme, je partageais ces doctrines exaltees. Fort heureusement, ma grand'mere etait une sainte, incapable de hair personne, et mes parents, plus calmes par le seul fait d'appartenir a une generation plus jeune, se maintenaient a l'ecart de ma cousine dans une neutralite compatissante. Il n'en est pas moins vrai que s'il existait au monde un coin de terre ou la pauvre petite n'aurait jamais du mettre le pied, c'etait Vaudelnay. Mais, apparemment, pour des raisons inconnues de moi, mon oncle n'avait pas le choix de la residence de sa petite-fille. Il fallut donc, de part et d'autre, se resoudre a une cohabitation qui ressemblait, sous certains rapports, a l'internement d'une colonne de prisonniers de guerre sur le territoire ennemi, ressemblance d'autant plus complete que Rosie ne savait pas le premier mot de notre langue. Au train ou marchaient les choses, elle risquait meme d'arriver a sa majorite sans etre plus savante sous ce rapport, car mon oncle, qui s'occupait chaque jour de son education pendant plusieurs heures, mettait une sorte de fierte et de rancune a ne jamais faire entendre a la petite ni a sa bonne un seul mot de francais. Quant a moi, je ne l'apercevais guere qu'aux heures des repas, du moins dans les premiers jours. Elle mangeait peu, moitie, je pense, a cause de la terreur que lui inspiraient tous ces visages severes et rides, moitie parce que la cuisine de Vaudelnay, tout irreprochable qu'elle fut, differait essentiellement de celle que l'enfant avait toujours connue. Mais, si elle ne brillait pas par l'appetit, elle me surpassait encore par la correction de sa tenue, ce qui n'est pas peu dire. Une fois, meme, je m'entendis reprimander par cette severe apostrophe sortie de la bouche de mon grand-pere: --Je suis fache de vous dire que vous etes infiniment moins propre a table que votre cousine. La tristesse, deja consciente des choses, peinte sur cette physionomie enfantine--elle n'avait pas sept ans--faisait peine a voir. Bientot Rosie se prit pour son grand-pere d'une adoration fort naturelle a tous les points de vue. De temps en temps elle jetait sur lui un long regard qui remplissait ses yeux d'une tendresse humide, et je dois dire que l'oncle Jean lui rendait avec usure cette silencieuse caresse. Il semblait a la fois tres sombre et tres heureux; nous ne l'apercevions presque plus; sa vie se passait tout entiere dans l'appartement de la petite tour, devenue l'asile de cette branche de la famille, ou, si le temps etait beau, dans quelque coin mysterieux de l'immense parc. La, il suivait pendant des heures avec une veritable devotion les jeux calmes de l'enfant dans le sable des allees. Je les observais parfois avec un peu d'envie, sans oser troubler leur tete-a-tete tranquille. Quand la pelle de bois de l'enfant avait laisse des traces trop profondes, il fallait voir avec quel soin melancolique l'oncle Jean, avant de regagner le chateau, reparait les degats. --Nous ne sommes pas chez nous, semblait-il dire tout bas en courbant vers le sol sa longue taille amaigrie. Mes sentiments personnels envers ma cousine furent longtemps ceux du plus profond dedain, car, ainsi que pour la plupart des garcons de mon age, il etait admis pour moi que " les filles " appartenaient a une categorie inferieure d'etres humains. Matin et soir, il est vrai, nous nous embrassions, Rosie et moi, comme nous embrassions tous les membres de la famille, ce qui portait a seize par jour le nombre des baisers que chacun de nous devait donner ou recevoir, sans compter les extras. Mais quelle difference dans la maniere dont nous accomplissions la ceremonie! On aurait dit que cette caresse, toute machinale chez moi, etait une aumone que je daignais accorder et que ma cousine recueillait avec reconnaissance. Quand mes levres allaient trouver la joue de l'enfant, elle fermait les yeux et semblait attendre pour voir si je ne doublerais pas la dose, idee fort naturelle qui me vint seulement plus tard, apres que la glace fut brisee entre nous. Voici dans quelles circonstances. Il va sans dire que j'avais " mon jardin ", morceau de terre de cent pieds carres ou je cultivais des legumes, non pas des plus recherches, mes relations tendues avec le jardinier ne me permettant pas de solliciter ses faveurs, et d'en obtenir autre chose que des plants de choux avaries ou des graines de haricots surabondantes. Voila ce qu'on gagne--je l'eprouvai depuis mieux encore--a faire partie de l'opposition! Un jour, je sarclais mes laitues qui se faisaient un malin plaisir de " monter ", alors que mes petits pois s'obstinaient a ne pas quitter la terre, sourds a l'invitation des ramures que je leur avais preparees. Miss Rosie vint a passer le long de mon domaine, escortee de sa bonne. Elle s'arreta pour me voir travailler, regardant mes produits d'horticulture d'un air d'admiration dont je me sentis plus flatte que je ne le laissai paraitre, car, a peu d'exception pres, les promeneurs de toute categorie qui s'egaraient dans ces parages refusaient manifestement de prendre mon exploitation au serieux. Malgre les objurgations de Lisbeth, qui voulait l'entrainer plus loin, ma cousine restait la, plantee sur ses petites jambes. Quand j'y pense aujourd'hui, j'imagine,--avec plus de fatuite qu'alors,--que l'on se souciait moins du jardin que du jardinier. Avoir, pour ses jeux toujours solitaires, un compagnon, meme plus age qu'elle, n'etait-ce pas le reve instinctif de cette enfant dont on pouvait dire: Elle est venue parmi les siens, et les siens l'ont bien mal recue! Je devais avoir la mine d'un seigneur d'opera-comique rassurant une bergere, quand je fis signe a Rosie que je lui permettais de franchir ma cloture, formee d'une haie de buis de vingt centimetres. Elle accepta, rougissant de plaisir, et je la precedai fierement, la conduisant de la foret de mes framboisiers a la prairie naissante de mes epinards, puis a ma ferme, representee par une caisse verte ou, derriere un grillage, des lapins blancs remuaient leurs narines, et enfin a ma maison de campagne composee d'un banc rustique abrite par un toit de joncs. Mes lapins blancs, on le devine, furent de toutes mes richesses, la partie qui emerveilla davantage ma visiteuse. Elle les caressa de sa petite main, apres m'en avoir demande la permission d'un regard tres humble. Si je l'avais laissee faire, je crois que nous y serions encore.... Pauvre cherie! Aujourd'hui je donnerais bien des pres, des chateaux et des fermes pour que nous y fussions encore, en effet! Mais, ce jour-la, j'estimais que j'avais mieux a faire qu'a contenter la curiosite d'une petite fille, et je lui declarai par signes que mon travail me reclamait. Par signes, l'enfant me temoigna qu'elle serait la plus heureuse personne du monde de travailler aussi. L'imprudente! Elle ne se doutait pas qu'elle venait de poser elle-meme le joug de l'esclavage sur ses epaules. A partir de ce moment, j'eus sous mes ordres un ouvrier docile, remarquablement intelligent, d'un zele infatigable et possedant la precieuse qualite de ne rien exiger de son maitre, pas meme la reconnaissance. Bien entendu, je lui confiais les besognes les moins agreables, telles que l'enlevement des cailloux qui desolaient mes parterres, le nettoyage des herbes parasites et la destruction des limaces qui semblaient s'etre retirees de toutes les regions voisines dans mes planches d'epinards, comme dans un asile assure. Jamais, durant les heures consacrees a ces taches ingrates, ma subordonnee volontaire n'essaya l'ombre d'une revolte contre mon autorite, passablement tyrannique, je l'avoue. Tout en accomplissant sa besogne, elle s'efforcait de lier conversation avec moi, et je me flatte d'avoir ete son premier, sinon son meilleur professeur dans notre langue. Une fois de plus, en cette occasion, il fut permis de constater l'excellence de ce proverbe: qu'un bien-fait n'est jamais perdu. Mon ennemi le jardinier, temoin de mes bons rapports avec ma cousine et se meprenant, j'en ai peur, sur mon desinteressement, devint du soir au matin mon protecteur et mon ami. Des lors il m'apporta de lui-meme ses meilleurs plants et ses graines les plus rares; il me prodigua ses conseils et ses lecons. Bien plus, il m'arriva dans la suite, lors de certaines expeditions tentees par moi dans la region des espaliers et des quenouilles, de voir cet adversaire jadis redoute tourner les talons, comme s'il avait resolu de me laisser le champ libre. Un drole de corps, ce sournois de jardinier! il savait tout, sans compter bien d'autres choses. Quel ne fut pas mon etonnement de l'entendre un jour echanger quelques mots d'anglais avec Lisbeth! Presque chaque jour, tandis qu'elle agitait son eternel tricot tout en surveillant " mademoiselle Rosee ", comme disaient les domestiques, le compere s'arrangeait pour passer par la. Dieu sait que Lisbeth n'avait pas la mine d'une personne destinee a connaitre les aventures. Pourtant il s'eprit d'elle, sans en rien dire a qui que ce fut, pas meme a la principale interessee. Ils finirent par s'epouser alors qu'ils etaient tant soit peu vieillots l'un et l'autre. En dehors des affaires, c'est-a-dire de mon jardin, pendant les repas et durant les moments assez courts de notre presence commune au salon, je commencais a traiter ma cousine un peu plus gracieusement, mais je maintenais envers elle ma position de superieur a inferieur. Dans les rares occasions ou elle se hasardait a prononcer quelques mots de francais, je riais de ses bevues avec l'altiere commiseration d'un chancelier de l'Academie, tandis que j'aurais du souvent les excuser en ma qualite de professeur responsable. Pauvre mignonne! si jamais enfant fut preservee par les premieres annees de son education contre les dangers de l'amour-propre, c'est bien celle-la. Ce qu'elle faisait de mal etait etale au grand jour et reprimande severement, tandis que ses bonnes actions et ses qualites passaient pour choses toutes naturelles. Des qu'elle put comprendre trois mots de francais, ma grand'mere ne cessa de lui repeter qu'elle etait laide avec une insistance convaincue, a ce point qu'il n'etait pas douteux pour moi que mon infortunee cousine ne fut une sorte de monstre desherite par la nature. Anglaise, pauvre, laide et protestante! Quelle accumulation de disgraces sur une seule tete humaine! Il ne fallait pas moins que les preceptes rigoureux de la charite chretienne, qui m'etaient inculques chaque jour entre une page du _De viris_ et un probleme d'arithmetique, pour me donner le courage de lui faire bonne mine,--hors de la presence des limaces. Mais il faut croire qu'elle avait appris en naissant l'art fort utile ici-bas de savoir se contenter de peu. Si seulement je lui envoyais quelque chose qui ressemblat a un sourire, d'un bout de la table a l'autre, si, dans mon coin favori du salon, je lui permettais d'approcher ses joues roses des miennes et d'admirer les splendeurs de mes livres d'images, c'etait aussitot un de ces regards mouilles qu'elle reservait exclusivement a deux etres en ce monde: l'oncle Jean et moi. Je parle, bien entendu, des etres humains, car mes lapins blancs, qu'elle etait chargee de soigner sous ma haute direction, n'etaient pas beaucoup moins bien traites par leur tres jeune mere nourriciere. Un jour que de nombreux petits etaient survenus a son grand etonnement--et meme au mien, car nous aurions rendu des points a Daphnis et a Chloe sous le rapport de l'ignorance--elle faillit s'evanouir de joie, la pauvre orpheline qui n'avait pas la chaude caresse d'une mere pour attiedir son existence d'etre isole et meconnu! VII Tant de douceur et de gentillesse devaient forcement, un jour ou l'autre, produire leur effet sur des natures aussi bonnes que l'etaient au fond celles des membres de la famille, meme des _ancetres_. Petit a petit, chacun se prit de tendresse pour cette enfant qui faisait si peu de bruit, tenait si peu de place et demandait si peu de chose. Mais il etait facile de voir que tous les Vaudelnay du monde, y compris le plus jeune d'entre eux, aimaient Rosie quand personne ne pouvait les voir, et semblaient a peine la connaitre aussitot qu'une forme humaine se montrait au bout du corridor. Il n'etait presque pas de jour que ma jeune cousine ne parut a table avec un bout de ruban noir ou quelque brimborion de jais qui n'etait pas venu tout seul embellir son vetement de deuil plus que modeste. Un soir, au salon, pendant le diner de sa bonne, l'imprudente vint m'offrir des bonbons dans un sac portant l'estampille du confiseur a la mode de Poitiers, ce qui sembla causer un malaise profond a mon pere, le seul de la famille qui fut alle en ville ce jour-la. Mais chacun, il faut le croire, s'etait donne le mot pour ne s'apercevoir de rien, et moi-meme je me hatai de faire rentrer le corps du delit dans la poche d'ou il n'aurait jamais du sortir. Quelques jours apres, Rosie se montra pressant contre son coeur une poupee imperceptible du vernis le plus frais. La semaine suivante, la poupee avait grandi d'une main. Avant la fin du mois, elle etait presque aussi grande que Rosie elle-meme et, a coup sur, beaucoup plus elegante dans ses ajustements. Il en fut des poupees comme du sac de bonbons: personne ne s'avisa de s'inquieter de leur provenance. Ma cousine aurait pu, j'en suis sur, parader d'un bout a l'autre du chateau avec le colosse de Rhodes sur les bras, sans qu'on lui fit la moindre question embarrassante. Elle continuait de son cote a garder--ou peu s'en faut--le silence des premiers jours, et cependant, quand nous etions a mon jardin, elle commencait a babiller tant bien que mal en francais, malgre mes rires moqueurs. Evidemment il y avait contre elle des griefs que j'ignorais. Du moins j'en deplorais un qui n'etait pas, tout me portait a le croire, un des moins odieux. Chaque soir, a l'heure de la priere, chaque dimanche, a l'heure de la messe, quand la place de cette jeune heretique restait vide parmi nous, la plupart des fronts se plissaient. La blessure pourrait-elle jamais se fermer? Cette inquietude, malgre mon age, me preoccupait. Vers la fin du printemps qui suivit l'arrivee de ma cousine a Vaudelnay, toutes les pensees de la famille se tournerent sur un seul point: ma premiere communion, dont l'epoque approchait. Des lors j'entrai dans la periode severe de la meditation et de la penitence. Mon jardin fut abandonne et je ne vis plus guere ma cousine. Craignait-on pour moi un proselytisme funeste?--Que serait-il arrive, en effet, si, Polyeucte d'un nouveau genre, j'avais crie en face de la table sainte: --Je suis protestant! La chose ne me semblait guere a redouter, car, tout au contraire, je me sentais pret a mourir pour ma foi. Mais qui peut savoir jusqu'ou vont les ruses diaboliques de l'ennemi de notre salut? Je dois dire que l'excellent cure qui dirigeait ma conscience et travaillait assidument a " ma conversion " faisait preuve sur toutes ces questions des idees les plus larges. Plus d'une fois nous avions aborde franchement le fatal sujet, car, plus j'approchais du Ciel, plus j'eprouvais d'amertume a voir ma pauvre cousine assise a l'ombre de la mort. --Soyez sans inquietude, me disait le saint pretre. Dieu est bon et nous le fera voir a tous. Priez pour votre cousine et laissez le reste aux soins de la Providence. A demi rassure par ces paroles, je priais beaucoup, en effet, pour que le Seigneur ouvrit les yeux de la pauvre egaree, et aussi pour qu'on lui permit d'assister a la ceremonie. Ce fut donc une grande joie pour moi d'apprendre que Rosie, ce jour-la, viendrait a la messe. Avant de se rendre a la petite eglise paree comme elle ne l'avait pas ete depuis le mariage de mon pere, toute la famille s'assembla au salon. J'y fus introduit a mon tour et, luttant contre une emotion dont je regretterai toute ma vie la naive grandeur, je suppliai les miens de me pardonner les peines et les mauvais exemples dont je les avais abreuves jusque-la, de meme que Dieu, selon toute esperance, avait daigne m'en accorder l'oubli. Bien entendu, les hommes ne se montrerent pas plus impitoyables que le Createur. Mon grand-pere me benit solennellement; tout le monde pleurait. Seule ma cousine me considerait de ses grands yeux noirs pleins d'etonnement et brillants d'une flamme singuliere. Pour la premiere fois depuis son arrivee a Vaudelnay--probablement pour la premiere fois de sa vie,--elle fut temoin des pompes de notre culte. On ne m'otera pas de la pensee qu'une bonne partie du sermon fut prechee tout expres pour elle, sur ce texte qui devait la toucher plus qu'une autre: " Laissez venir a moi les petits enfants. " La messe achevee, les communiants defilerent triomphalement au bruit des cloches et aux accords de l'harmonium. Il va sans dire que tout le village avait les yeux fixes sur " monsieur Gaston ", et j'ai le regret d'ajouter que jamais, depuis lors, il ne m'est arrive d'etre aussi digne de l'estime et de l'attention generales. Dans la foule de mes parents proches ou eloignes, grossie par des invitations nombreuses, je cherchais ma jeune cousine. Enfin je la decouvris, dissimulee a l'ecart, me considerant avec une sorte de respect mystique. Sa physionomie, generalement peu revelatrice, rayonnait d'enthousiasme. Je lui fis un signe; elle s'approcha doucement et, comme si elle ne se fut pas crue digne d'une caresse plus intime, elle me prit la main et la serra contre son coeur. Le soir, quand vint l'heure de la priere en commun, Rosie, sans que personne put s'y attendre, fit une action dans laquelle toute la famille se plut a reconnaitre l'effet miraculeux de ma puissante intercession. Encore une fois elle prit ma main et, sans dire un mot, suivit tout le monde a la pieuse assemblee. A partir de ce jour, elle ne manqua jamais de prier avec nous. J'anticipe sur les evenements pour dire qu'un certain jour, quatre ans apres, elle recut a la fois le bapteme et la communion. J'eus meme l'honneur d'etre son parrain, car on continuait a m'attribuer une part serieuse dans sa conversion. Si, dans la suite, il m'est arrive d'exercer des influences moins orthodoxes sur d'autres ames feminines, j'espere que le souverain Juge ne m'en tiendra pas rigueur en consideration de ce precoce apostolat. Durant quelques mois, apres ma premiere communion, les choses reprirent a Vaudelnay leur cours ordinaire, avec une amelioration sensible du sort de ma cousine. On la traitait avec bonte, mais toujours avec une pointe de reserve, comme si, malgre tout, un stigmate inconnu pesait sur elle. Puis l'heure vint ou je dus quitter ma famille pour le college, et, de longues semaines a l'avance, la perspective de ce grave evenement couvrit d'un voile sombre le chateau tout entier, dont chaque habitant, maitre ou domestique, avait, je le crois bien, l'indulgence extreme de m'adorer. Ce fut par moi que ma cousine connut la grande nouvelle. Un jour du commencement de septembre que nous travaillions a mon jardin, je sentis tout a coup cet amer sentiment de l'_a quoi bon?_ qui nous alourdit le coeur a certaines heures de la vie. --Ma pauvre Rosie, soupirai-je, quand ces chrysanthemes que nous plantons seront en fleur, je n'aurai pas le plaisir de les voir. D'abord elle ne comprit pas. Selon son habitude, elle me fit repeter ma phrase, car elle ne laissait passer aucune de mes paroles qu'elle ne l'eut saisie, absolument comme s'il se fut agi d'un texte important. Quand j'eus bien explique ce que c'etait que le college, et comme quoi cette invention funeste allait nous tenir separes pendant de longs mois, le visage de ma compagne sembla se figer dans une rigidite marmoreenne, ce qui etait presque, a vrai dire, son etat naturel quand nous n'etions pas ensembles. Elle eut un instant de reflexion fort concentree, puis elle me dit: --C'est donc pour cela qu'_ils_ sont tous tellement tristes depuis quelques jours! --Trouves-tu qu'ils soient si tristes? demandai-je, flatte au fond de l'importance qu'elle me donnait. --Oh! certainement, Gastie, appuya l'enfant. Hier j'ai vu pleurer ma tante. Quel dommage que je ne puisse aller au college a ta place! Personne n'aurait envie de pleurer. Cette reponse me parut alors burlesque au possible et j'eclatai de rire, ce qui prouve qu'un homme ne voit pas toujours les choses comme elles meritent d'etre vues...et comme les voit un coeur de femme, meme d'une petite femme de sept ans. A partir de ce jour-la, mon jardin continua de recevoir nos visites, mais les instruments de culture se couvrirent de rouille, car nous passions notre temps a me plaindre. Je venais de decouvrir soudain que le role de victime a de grandes douceurs. Je permettais genereusement a Rosie de pleurer sur moi, sans m'inquieter beaucoup de savoir si elle n'avait pas envie quelquefois de pleurer sur elle, tant je continuais a etre persuade que nous n'appartenions pas tout a fait a la meme categorie d'etres. J'abrege le recit de ces derniers jours. Le moment du depart venu, j'ai honte d'avouer que je fis preuve d'une faiblesse indigne de mon sexe: litteralement, je fondais en eau. Quant a ma cousine, je la vis assez peu durant les heures supremes; je pus constater qu'elle ne versait pas une larme, estimant probablement qu'elle etait trop peu de la famille pour s'accorder cette prerogative. Mais la premiere lettre de ma mere contenait cette phrase en post-scriptum: " J'oubliais de te dire que ta cousine s'est mise au lit le lendemain de ton depart. Le medecin ne lui trouve aucune maladie et suppose qu'il s'agit d'une simple crise de croissance. Cher enfant bien-aime, soigne-toi bien. " VIII Je me soignai du mieux qu'il me fut possible, et ma sante sortit victorieuse des emotions que je venais de traverser. Pour etre franc, je ne fus pas douze heures au college sans constater que la discipline y etait moins severe qu'a Vaudelnay, que les plaisirs de mon age m'y attendaient en plus grand nombre. Cependant, par une sorte de politesse affectueuse pour ma famille, j'eus soin de ne pas manifester trop clairement cette surprise agreable, et j'eus le tact de laisser croire que les blessures de mon coeur prenaient du temps pour se cicatriser. " Tache de ne pas trop penser a nous, ecrivait ma mere. Tu te ferais du mal, mon cher Gaston! " Helas! si elle avait pu entendre son cher Gaston remplissant de ses cris joyeux les quinconces des grandes cours, si elle avait pu le voir vainqueur a tous les jeux, triomphateur dans toutes les batailles, elle aurait ete bien vite rassuree! Bientot son coeur maternel fut assailli d'une autre crainte. Grace au bon cure de Vaudelnay, j'etais, sans que personne s'en doutat et sans m'en douter moi-meme, d'une jolie force dans toutes les matieres qui composaient le programme peu charge de ma classe. Les premieres compositions me revelerent comme destine a tous les succes. " Nous sommes fiers de tes bonnes places, m'ecrivait-on. Mais ne travaille pas trop! " C'est, j'en ai peur, de tous les conseils que m'a donnes ma mere, le seul que j'ai toujours pieusement suivi. Les vacances de Paques me virent arriver a Vaudelnay resplendissant de sante, charge de diplomes, de croix et de temoignages. Rien qu'a la facon dont mon grand-pere m'embrassa, je compris que le temps etait passe ou je n'avais le droit, quand nous etions a table, ni d'accepter du vin d'extra ni de refuser des epinards. Je sentis que j'etais devenu quelqu'un, d'autant plus que mon uniforme, dans lequel j'apparaissais pour la premiere fois, me semblait devoir rehausser extremement la dignite de mon apparence. Durant une heure, la famille assemblee specialement en mon honneur m'examina, me pesa, me mesura comme si je venais de faire le tour du monde. L'areopage decida contradictoirement que je rappelais d'une facon prodigieuse mon ancetre l'amiral, qui etait brun avec le visage en lame de couteau, mon arriere grand-oncle l'archeveque, qui etait camard, et une parente encore vivante, Dieu merci, qui passait, je l'avais entendu dire plus d'une fois, pour une des jolies femmes blondes de la cour de Charles X. Au milieu de ces discussions agreables, l'heure du diner arriva. Comme nous allions nous rendre a table, une petite personne, que je ne reconnus pas tout d'abord tant elle avait grandi, s'approcha de moi plus timidement, je le gagerais, que la parente ci-dessus nommee n'abordait le dernier roi de la monarchie legitime. --Tiens, Rosie! m'ecriai-je d'un air affable de bon prince. Tu es donc toujours ici? Au regard que me jeta l'oncle Jean, il me vint un soupcon que la phrase n'etait pas des plus heureuses, mais, dans l'agitation generale, personne que lui n'avait du la remarquer. Je reparai mes torts en embrassant ma cousine qui ne levait pas les yeux sur moi, et en lui donnant la main pour passer a table. J'appris le lendemain dans la conversation qu'elle travaillait beaucoup, quelque chose comme douze heures par jour, car tous les habitants feminins de Vaudelnay s'etaient cotises, pour ainsi dire, afin de pousser son education. Ma grand'mere lui enseignait la couture, ma tante Frederique la grammaire et l'orthographe, ma tante Alexandrine le dessin et le piano, ma mere l'ecriture, le calcul et l'histoire sainte. Je fremis rien que de penser a ce surmenage. Elle trouva cependant moyen, je ne sais comment, d'etre a mon jardin quand je passai par la dans ma tournee de proprietaire. Jamais, dans le temps de ma plus grande ferveur d'horticulture, mes plates-bandes n'avaient ete plus magnifiques. D'un oeil anxieux l'enfant guettait mes impressions. --Oh! oh! m'ecriai-je complaisamment, tu m'as bien remplace, Rosie! --Cela te fait plaisir? balbutia-t-elle. --Mais oui, certainement. Et, sans pousser l'eloge plus loin, je continuai ma route vers la piece d'eau ou les cygnes, qui me voyaient venir, s'approchaient de la rive pour prendre de ma main la pature attendue. Aux grandes vacances du mois d'aout, je repassai par la, mais Rosie ne m'attendait pas pour mendier mon approbation. Le jardin etait en friche. Elle aussi avait du se dire: A quoi bon! --La paresseuse! pensai-je. Il faudra que je la gronde. Mais un poney que je trouvai dans une stalle de l'ecurie--j'avais rapporte tous les prix de ma classe--m'ota l'envie et le temps de gronder personne, surtout un etre d'aussi mediocre consequence que Rosie. Je la vis assez peu durant ces deux mois qui s'enfuirent comme un songe, au milieu de plaisirs de toute sorte. D'autres annees passerent. Apres le poney vint un fusil et je ne revai plus que lievres, perdreaux, contrepied et remise. Puis la mort entra au chateau, et, quand elle connut le chemin de cette maison pleine de vieillards, elle y revint souvent comme si, la perfide! elle ne se plaisait qu'aux faciles besognes. L'un apres l'autre, les _ancetres_ s'en allerent tous dormir dans le caveau creuse sous notre chapelle. Alors l'oncle Jean, reste seul de sa generation, quitta Vaudelnay, lui aussi, avec sa petite-fille, heritiere de quelques milliers d'ecus laisses par la tante Frederique. L'autre, la tante Alexandrine, a cheval sur les vieux usages, avait teste en ma faveur. Mes parents restaient maitres du domaine, et Dieu sait avec quelle joie ils auraient conserve sous leur toit l'oncle Jean et sa petite-fille. On le supplia de garder son appartement dans la vieille tour, mais il ne voulut rien entendre. --Quand mon frere et mes soeurs etaient la, dit-il, je pouvais y etre aussi. Un octogenaire de plus ou de moins, cela ne tirait pas a consequence. Mais le temps a marche. Un vieux comme moi doit faire place aux jeunes. D'ailleurs, il vaut mieux pour Rosamonde qu'elle passe quelque temps a Paris. Jamais on ne put l'en faire demordre. Un beau jour il s'eloigna sans bruit de Vaudelnay, suivi de Rosie et de Lisbeth. A cette epoque, je faisais mon droit a Paris et je ne pus adresser mes adieux a la branche cadette de ma famille. En m'annoncant leur depart, ma mere me fit connaitre leur domicile dans un quartier de l'autre monde, quelque part derriere le Luxembourg. " Tu iras les voir souvent, m'ecrivait-elle. Je voudrais etre sure qu'ils seront heureux, mais j'en doute, non seulement parce qu'ils possedent fort peu de bien, mais encore parce qu'ils vont etre perdus dans cette grande ville, sans un ami. Dieu sait que ton pere et moi nous avons mis tout en oeuvre pour empecher ce depart qui nous desole. Mais tu connais ton oncle!.... " A la lecture de cette lettre, je m'etais bien promis d'aller voir dans les trois jours l'oncle Jean et sa petite-fille, ce qui eut ete une entreprise peu difficile si j'avais habite le quartier latin. Mais j'appartenais a la categorie des etudiants du grand monde qui demeuraient autour de la Madeleine dans des entresols charmants, allaient chaque soir diner en ville, et se rendaient a l'Ecole, quand leurs devoirs sociaux le leur permettaient, dans des tilburys irreprochables de tenue. Je crois meme, Dieu me pardonne, que j'y suis alle a cheval une fois ou deux avant de faire mon tour de Bois. Je ne voudrais pas me faire meilleur que je ne suis, mais j'affirme que je me reveillai un beau matin en me disant: --Aujourd'hui, qu'il vente ou qu'il grele, j'irai voir mon oncle et ma cousine. Malheureusement il me fut impossible de retrouver l'adresse envoyee par ma mere. On dira qu'il etait bien simple de la demander; mais j'appartenais alors a cette classe nombreuse d'etres toujours prets a braver pour leur famille ou leurs amis tous les supplices du monde sauf un seul: la peine effroyable d'ecrire une lettre. C'etait, il faut en convenir, un grand defaut, et je le reconnaissais moi-meme avec franchise. Toutefois il etait rachete, selon toute apparence, par de serieuses qualites, car je devenais l'ami de quiconque m'avait approche une fois. Quand j'y reflechis d'un peu plus loin, je presume que la premiere de ces qualites consistait dans la fortune dont mon pere, retenu a Vaudelnay par sa sante, me faisait jouir avec une generosite qui etait chez lui un systeme. J'avais en plus le don d'etre " amusant ", qui me faisait rechercher partout, bien que les gens amusants fussent alors moins rares qu'aujourd'hui, ainsi qu'en temoigneront tous mes contemporains. Je crois pouvoir en appeler au meme temoignage pour constater que j'etais joli garcon, bien fait de ma personne, bon valseur, fin cavalier, ni trop naif ni trop blase pour mon age, plein d'aversion pour tout ce qui etait malpropre et mal odorant au physique et au moral. Comme trait caracteristique, j'ajouterai que j'etais alors regle dans mes moeurs a l'egal d'un chartreux, ou, pour mieux dire, d'un forcat. Mon cheval, mes amis, mes etudes un peu negligees, mes nouveaux devoirs d'homme du monde pris tout a fait au serieux, c'etait de quoi composer une existence qui ne me laissait guere le temps de penser a mal et aurait en outre brise les muscles d'un athlete. Il faut joindre a cela que les femmes du monde que je voyais de pres m'empechaient d'admirer les autres, ce qui peut paraitre une originalite invraisemblable. D'ailleurs elles-memes refusaient mechamment de croire a la preference dont je voulais bien les favoriser, et leur bienveillance a mon egard n'allait pas sans une defiance mal deguisee. Elles m'examinaient, me retournaient, me maniaient avec precaution, comme on fait d'un bibelot dans un etalage, quand on ne compte pas risquer l'emplette. Enfin, j'etais irreprochable, bon gre mal gre, et s'il m'etait reste, par-ci par-la, une heure libre pour ma cousine et pour l'oncle Jean, je me demande ce qui m'aurait manque pour etre la perfection absolue. Dans les bals, je voyais deja les regards des meres marquer mon front de vingt-trois ans du sceau des elus, tandis que dans le secret de leur coeur, elles pensaient: --Voila un garcon qu'il faudra suivre. Encore une saison ou deux, et ce sera un parti hors ligne s'il ne deraille pas. Ah! si les jeunes gens savaient pourquoi les meres vont au bal, pourquoi elles y conduisent leurs filles, au prix de fatigues sans nombre! S'ils savaient pourquoi les jeunes personnes sourient, font de l'esprit, dansent et vont au buffet! S'ils savaient!.... Mais, parbleu! a l'entrain qu'ils y apportent aujourd'hui pour la plupart, je soupconne qu'ils savent. D'ailleurs, que ne savent ils pas? Et comme c'est ennuyeux, triste, desesperant de _savoir!_ IX A la fin de ma premiere annee de droit, je subis assez gaillardement l'epreuve de l'examen. J'aurais mauvais gout a blamer la facilite du programme ou l'indulgence des juges; toutefois, depuis ce premier succes de ma carriere intellectuelle, je n'ai jamais pu entendre dire qu'un jeune homme a echoue dans ces peu terribles debuts, sans me sentir plein pour lui d'une pitie profonde. Les vacances me rappelaient a Vaudelnay, mais, auparavant, un imperieux devoir m'obligeait a rendre visite a l'oncle Jean et a sa petite-fille. Grace a Dieu, mes amis et mes amies du grand monde etant disperses dans toutes les directions; je n'avais rien de mieux a faire a cette heure que de me montrer bon parent. Mais la difficulte--elle etait serieuse,--consistait a decouvrir l'adresse du baron de Vaudelnay. La demander a ma mere? C'eut ete faire l'aveu d'une coupable negligence. Fort heureusement le notaire de la famille, que je ne manquais pas d'aller trouver dans son etude le premier de chaque mois, devait posseder ce renseignement indispensable. En effet j'appris par lui que le vieillard demeurait rue d'Assas. Je pris un fiacre pour me rendre chez mon oncle, d'abord pour ne pas faire a ses yeux l'etalage de mauvais gout de ma voiture, de mon cheval et de mon groom, et ensuite parce que les paves de la rive gauche, brules parle soleil de juillet, ne valaient rien pour les pieds d'_Annibal_ qui avait la sole sensible comme l'epiderme d'une nymphe. En apprenant du concierge que le baron etait seul chez lui--au quatrieme etage et quel escalier!--je me sentis aussi emu que je l'avais ete huit jours plus tot devant mes examinateurs. Meme, tout en montant les marches, je me disais qu'on peut toujours trouver moyen d'anonner quelques phrases sur la condition des affranchis ou sur l'incapacite des mineurs. Mais que repondre si, la-haut, on me posait cette " colle " redoutable: --Pourquoi n'es-tu pas venu nous voir plus tot? Il faut croire que l'oncle Jean n'avait pas trop souffert de la rarete de mes visites, car il m'accueillit comme si nous nous etions quittes la veille, avec cette bonte triste et ce sourire resigne que je lui connaissais, depuis le soir ou il etait rentre a Vaudelnay rapportant Rosie entortillee dans sa couverture. Pauvre oncle! il avait franchi une etape de plus dans la vieillesse. Il etait facile de voir que la prochaine halte serait la derniere. Il portait ses cheveux blancs tres longs; sa taille s'etait voutee; ses vetements, d'un entretien irreprochable, trahissaient la pauvrete. J'eus un leger malaise en les reconnaissant, pour les avoir vus jadis a Vaudelnay.... Je me hatai de parler de ma cousine. --Elle est a sa peinture, dit mon oncle. Ah! c'est vrai: tu ne sais pas! Elle a pris une rage de barbouiller des toiles. En toute justice elle a du talent. Du reste, regarde. Sur les murs s'etalaient quatre ou cinq tableaux dont j'aurais eu quelque peine a discerner le merite, non seulement parce que j'etais loin d'etre clerc en peinture, mais aussi parce que, subitement, mes yeux se trouverent un peu brouilles. Ces toiles etaient des vues de Vaudelnay, du parc, des environs, probablement faites de memoire. Sur la table un chevalet de velours supportait un dessin qui acheva de me troubler la vue, car il representait mon jardin quelque onze ans plus tot. L'oncle Jean, tres vivement, fit volte-face et s'en fut regarder le ciel par la fenetre. --Tu vas sans doute retourner la-bas? me dit-il apres une minute de silence. Je sais que tu es recu, et je t'en felicite. --Vous savez?...balbutiai-je. Comment l'avez-vous appris? --Par ta cousine, je crois. Cette petite est une gazette ambulante et me raconte tout ce qui se passe a Paris; ce qui se passe de bon, bien entendu. Car moi, je ne sors plus guere. Les jambes.... Il acheva ce qu'il voulait dire par une grimace que je lui avais toujours connue, quand il voulait eviter un jugement severe sur les personnes ou sur les choses. --Ma cousine sort beaucoup? demandai-je. Si j'avais exprime toute ma pensee j'aurais dit: --Elle ferait mieux de peindre moins, et de tenir compagnie a son vieux grand-pere. L'oncle repondit sans avoir l'air d'en vouloir le moins du monde a cette coureuse: --Dieu merci! nous avons toujours Lisbeth qui est une duegne irreprochable. Pauvre Rosie! elle sera desolee d'avoir manque son cousin! --Mais je lui donnerai bientot l'occasion de se consoler, dis-je poliment. Je reviendrai. --Pas avant les vacances? Tu vas partir? --Demain matin. L'oncle eut un sourire imperceptible dans lequel je lus tout un chapitre de philosophie. Decidement la conversation manquait d'entrain. Je reflechissais, a part moi, qu'il est tres difficile de trouver quelque chose a dire aux gens que l'on rencontre une fois par an, tandis qu'une heure semble courte a l'intimite de chaque jour. Mon oncle reflechissait aussi. Tout a coup il tourna vers moi un de ces regards subitement attendris que je lui connaissais depuis l'enfance de Rosie. --Ecoute, fit-il, tu leur diras que je les aime de tout mon coeur, et ces mots-la, tu as pu le constater, ne reviennent pas souvent dans ma bouche. Voila ma commission pour les vivants, qui ne sont que deux: ton pere et ta mere. Quant aux morts, qui sont beaucoup plus nombreux, tu leur diras--son regard avait change d'expression--tu leur diras que je leur pardonne. De cette facon, il n'y aura aucun moment de gene, lors de mon arrivee parmi eux. Sa belle figure se reveilla sous une expression moqueuse de defi jete a Celle qui devait--probablement bientot--le reunir aux _ancetres_. Il eut cette plaisanterie de vieux soldat: --L'entrevue sera deja bien assez _froide_. Ces paroles me remirent dans l'esprit mainte question que je n'avais pas ose faire dix ou douze ans plus tot, que je n'avais pas songe a faire depuis, distrait que j'etais par des sujets plus modernes. Je demandai au vieillard, retrouvant, sans l'avoir cherchee, la facon de lui parler que j'avais dans mon enfance: --Oncle Jean, votre vie ne m'est pas plus connue que si vous etiez pour moi un etranger. Ne vous semble-t-il pas que je devrais en savoir au moins quelque chose? --Te voila devenu bien curieux tout a coup! En me parlant ainsi, le baron s'efforcait d'exprimer l'ironie. Mais je vis bien que ma question, quoi qu'il en eut, lui causait du plaisir. --Apres tout, dit-il, c'est ton droit. La vie de chacun de nous, bonne ou mauvaise, utile ou perdue, appartient a notre lignee, et c'est a tes mains qu'est confie desormais l'avenir du bon vieux nom. Je souhaite, mon cher enfant, qu'il te porte plus de bonheur qu'il n'en a porte a moi ainsi qu'aux miens. Son visage, tres triste un instant, devint tres grave. A mon grand etonnement, le vieillard s'inclina devant moi avec une sorte de respect. --Futur marquis de Vaudelnay, dit-il, voici la confession d'un des votres qui fut juge severement par ceux de son epoque. Vous serez peut-etre plus indulgent. L'oncle se moquait-il de moi? Je me le suis demande et me le demande encore. Ce qu'il y a de certain c'est que j'envoyais a cette heure ma curiosite a tous les diables, prevoyant plus d'une comparaison embarrassante pour moi dans la confession qu'on m'annoncait. La voici, quelque peu resumee, et cependant le baron n'etait pas homme a s'etendre inutilement sur sa propre histoire. X La Revolution trouva le chateau de Vaudelnay peuple des memes habitants que j'y avais trouves moi-meme, quelque cinquante ans plus tard. Je parle des _ancetres_, cela va sans dire. Balthazar de Vaudelnay, le dernier marquis de l'ancien regime, venait de mourir juste a temps pour que mon grand-pere profitat, l'un des derniers parmi la noblesse francaise, de l'institution prete a perir du droit d'ainesse. Il herita seul du chateau, des terres, de toute la fortune, et bien que ses vingt-cinq ans ne fissent que de sonner, il entra dans son role de chef de famille, aussi serieux, aussi respecte, aussi bien obei de son frere et de ses deux soeurs que s'il eut ete un vieillard blanchi par l'age. L'obligation de veiller sur ses deux cadettes, ma tante Frederique et ma tante Alexandrine, peut-etre une sage prevoyance de l'avenir, l'empecha de prendre part a l'emigration, et la tempete passa sur ces trois aristocrates sans balayer leur tetes la ou elle en avait roule tant d'autres moins jeunes. Toutefois, pour sauver, en cas de malheur, le dernier bourgeon de la vieille tige, mon grand-pere avait confie mon oncle Jean a l'un de ses voisins et de ses amis pret a partir pour l'Angleterre. Le jeune emigre de douze ans ne devait revoir le sol natal que trente-cinq ans plus tard, c'est-a-dire vers la fin du regne de Charles X. Je laisse volontairement de cote toute la premiere partie de son histoire, non pas la moins interessante, mais la moins directement liee a la suite de ce recit. D'abord etudiant en Angleterre, puis l'un des plus jeunes officiers de l'armee des Indes, Jean de Vaudelnay, dont l'humeur etait aussi indomptable que sa bravoure etait brillante, quitta, par suite de desaccord avec ses chefs, une position qui pouvait le conduire a la fortune. Devenu libre, il regagna la France...par le chemin des ecoliers. Cette route accidentee le conduisit en Italie qu'il comptait traverser lentement. Mais il comptait sans le destin qui devait y decider de son existence. Epris d'abord d'une soudaine passion pour la peinture qui se revelait a lui comme un monde encore ignore, le jeune homme s'attarda longuement dans les galeries les plus celebres et dans les meilleurs ateliers. L'un de ceux-ci, rendez-vous des etrangers de distinction qui passaient a Florence, l'eblouit par un chef-d'oeuvre aupres duquel palirent les toiles des grands maitres, car ce chef-d'oeuvre etait vivant. Laura Scarpi, la rose de la Toscane, ainsi que tout Florence l'appelait, conquit, par son premier regard, le coeur de mon oncle. Elle etait la fille d'un peintre plus riche de gloire que d'argent. Quant a sa mere,...l'oncle Jean ne m'en a pas dit un seul mot. Dieu sait quel mystere demeure a jamais cache sous ce silence. Il va sans dire que la loyaute du baron de Vaudelnay, devenu le fiance de mademoiselle Scarpi, dut se montrer moins reserve a l'egard du chef de famille. Une chose est certaine: le voyageur fut informe que les portes de la maison paternelle ne pouvaient se rouvrir que pour lui seul. Ce n'etait pas le moyen de changer la resolution d'un homme de sa trempe. Il me le disait lui-meme: --Je serais plutot rentre a Vaudelnay sans ma tete que sans la femme a qui j'avais donne ma foi. Le mariage eut lieu, mariage suivi, selon le recit laconique de mon oncle, " de vingt ans d'exil, de pauvrete et de bonheur ". Il ne m'en raconta pas davantage sur cette periode de sa vie, et je me souviens que cette froide reserve fut pour ma curiosite de jeune homme un etonnement, aussi bien qu'une deception. Je n'avais pas encore compris qu'il est des bonheurs que l'on savoure a genoux, silencieusement, tant qu'il durent, que l'on enferme plus mysterieusement encore dans son coeur quand ils ne sont plus.... Ces vingt ans d'azur et de paix finirent brusquement dans la nuit sombre de l'orage. La mort prit a mon oncle celle qui etait la plus grande part de sa vie, mais, sur la tombe a peine fermee, une rose eblouissante fleurissait. Laura Scarpi laissait une fille de dix-huit ans, celle qui devait etre la mere de Rosie. Pauvre oncle Jean! Quand il etait oblige de parler de son bonheur perdu, les mots ne sortaient qu'avec effort de ses dents serrees. Et quand il arrivait a des souvenirs douloureux, c'etait encore pis, si bien qu'il fallait toujours deviner des choses qu'il ne disait pas. Il me laissa donc deviner plutot qu'il ne m'apprit l'autre catastrophe de sa vie. Un jeune Anglais, cadet d'une grande famille, vint a Florence et fut frappe de ce meme coup de foudre qui avait decide de l'existence du baron de Vaudelnay. Celui-ci n'avait jamais ete d'humeur facile, mais le malheur avait encore aigri son caractere indomptable. Froisse de certaines assiduites qu'il jugea compromettantes, devore a l'egard de sa fille de cette jalousie maladive dont les peres qui ont beaucoup aime offrent parfois l'exemple, croyant, pour tout dire, a une vulgaire tentative de seduction, le bouillant Francais fit un eclat. Sir George Melvil ne sut pas ou ne voulut pas s'expliquer; d'ailleurs, a cette epoque, la haine entre les deux nations atteignait son apogee. Une rencontre eut lieu dont le souvenir resta imprime a tout jamais en creux dans la boite osseuse de mon oncle. Enfin je venais d'apprendre pour quoi il s'etait battu avec " le monsieur ". --Il faut etre juste, ajouta mon oncle, je m'etais battu un peu vite avec cet etourdi de George, et, quand je me reveillai dans mon lit d'un cauchemar assez long, il m'eut ete difficile de dire lequel etait le plus desole de ce diable de garcon ou de ma pauvre fille. Il etait ecrit que les Vaudelnay de cette generation devaient tous mourir octogenaires. L'oncle Jean se guerit contre tout espoir et, comme sa blessure l'avait rendu plus patient, il voulut bien preter l'oreille a des explications qui d'abord le satisfirent. L'amour avait pu faire perdre la raison a sir George, mais ce jeune homme n'avait jamais perdu le respect: l'objet de sa passion soupconnait a peine l'etendue du mal cause par ses beaux yeux. L'oncle Jean reprit confiance et crut, voyant sa fille si calme, qu'il en serait quitte pour une gouttiere dans la voute de son crane. Il comptait sans les surprises perfides de l'amour. Ma jeune parente s'eprit a son tour d'une ardente affection pour l'homme qui avait failli la rendre orpheline, et quand le blesse fut delivre des medecins, ce fut pour entendre une autre antienne. Donner sa fille a un Anglais, a un protestant, a un cadet sans fortune! Il serait mort plutot, car, en depit de l'opinion defavorable que les siens avaient de lui, il etait reste de coeur et d'esprit aussi Vaudelnay qu'un Vaudelnay peut l'etre. Sir George essuya le plus energique refus. La nouvelle Chimene se jeta aux pieds de son pere en les arrosant de ses larmes, mais il faut croire que mon oncle n'admettait pas les denouements a la facon de Corneille. --Entre moi et cet etranger tu dois choisir, dit-il a sa fille. Si tu te decides pour lui, je te jure que tu n'entendras plus parler de moi jusqu'a ta mort. Ma belle parente avait dans les veines le sang des Vaudelnay renforce par du sang de Florentine. Elle se prononca pour l'etranger. Peut-etre croyait-elle que le serment de son pere ne tiendrait pas devant sa tendresse. Pauvre infortunee! Il fallait qu'elle connut bien peu celui dont elle etait la fille! Jamais, helas! serment inhumain ne fut mieux tenu. Les nouveaux epoux partirent pour l'Angleterre, et l'oncle Jean, seul au monde desormais, vint frapper a la porte de Vaudelnay que rien ne tenait plus fermee, a cette heure, devant cet enfant prodigue de cinquante ans. Bien qu'il se soit montre, le pauvre vieillard, aussi discret sur ce point que sur les autres, j'ai pu comprendre, neanmoins, que ni son frere ni ses soeurs n'ont arrache aux paturages de Vaudelnay le moindre veau gras pour feter son retour. On l'accepta et l'on voulut bien ne pas ouvrir la bouche sur ses erreurs passees, mais rien de plus. D'ailleurs mes propres souvenirs etaient encore vivants. Je revoyais l'oncle Jean silencieux, renferme en lui-meme, presque isole au milieu des siens. Il etait evident que l'orgueil austere des Vaudelnay ne lui avait jamais pardonne deux crimes: sa propre mesalliance et l'union de sa fille avec un Anglais heretique, bien que, de bonne foi, ce dernier malheur ne lui fut guere imputable. Mais il etait reserve a d'autres chagrins. Tout d'abord il eut la douleur d'apprendre que sir George Melvil n'avait pas ete beaucoup mieux accueilli en Angleterre que lui-meme ne l'avait ete en France. A son gendre on reprochait d'avoir epouse une etrangere sans fortune, catholique, fille d'une mere sans naissance. De plus ce mariage faisait evanouir les reves brillants d'une autre union plus avantageuse, caresses depuis longtemps pour son fils par lord Melvil, le grand-pere maternel de Rosie. Le jeune couple vecut donc a l'ecart, aussi pauvre mais non moins beni par l'amour que l'avait ete l'oncle Jean dans sa petite maison de Florence. Puis encore une fois la mort fit son oeuvre maudite; du moins elle ne separa point ceux qui s'aimaient: sir George et sa femme encore jeune, se suivirent dans la tombe a quelques semaines de distance, laissant la petite Rosamonde, agee de six ou sept ans, sans autre appui que son aieul maternel. Que pouvait le vieillard, sinon de pardonner a sa fille mourante et de venir frapper avec l'enfant a la porte du manoir de famille? --C'est ce que je fis, dit mon oncle en achevant son recit. Tu etais la; tu as tout vu.... Au propre comme au figure, l'on peut dire que tu as ouvert a ta cousine les portes de Vaudelnay. --Qui ne se sont jamais refermees, ajoutai-je avec un mouvement d'affection tres sincere. Oncle Jean! pourquoi ne viendriez-vous pas chez nous pour y passer les vacances avec Rosie? Mes parents seraient si heureux! Ma cousine aussi, j'en suis sur. Un eclair brilla dans les yeux du baron, tellement que je m'attendais a le voir accepter seance tenante. Puis subitement,--sur ce beau visage loyal de vieux gentilhomme on lisait comme sur celui d'un enfant,--une expression d'embarras, presque de crainte, vint succeder a la joie. L'oncle Jean baissa les yeux. Dieu me pardonne! on aurait pense que je l'intimidais. Je crus avoir devine ce qui causait cet air deconfit, et, comme j'etais encore tout vibrant de l'enthousiasme cause par le recit romanesque a peine acheve, je fis appel a toute ma diplomatie et je dis d'un ton plaisant: --Tenez, mon oncle, je vois ou le bat vous blesse. Gageons que vous avez fait quelques folies de jeune homme et que...vous etes en avance sur votre pension. Pourquoi ne renverserions-nous pas, dans l'occasion, le vieil ordre des choses? Assez longtemps l'on a vu les oncles preter quelques louis a leurs neveux pris de court par leurs fredaines.... --Tu es un brave garcon! interrompit mon oncle en me tendant la main. Parole d'honneur! j'accepterais ce que tu m'offres s'il en etait besoin, ne fut-ce que pour edifier les neveux de l'avenir en leur montrant que les oncles rendent ce qu'ils empruntent. Mais la question d'argent n'est pas ce qui m'arrete. Une ou deux affaires impossibles a remettre me retiennent ici pour une semaine ou deux, peut-etre plus. --Qu'a cela ne tienne. Quand vos affaires seront finies, mettez-vous en route. En arrivant a Vaudelnay, je vais faire mon rapport a mes parents et, bon gre mal gre, ils vous obligeront a nous rendre visite. Nous viendrions plutot tous trois vous chercher! --Bon, fit mon oncle. Nous verrons; je ne dis pas non. En attendant, charge-toi pour eux de toutes nos tendresses. L'heure etait venue de prendre conge, chose d'autant plus facile qu'on ne faisait rien pour me retenir. Mon oncle, evidemment, ne tenait pas a me voir rencontrer ma cousine. Il m'accompagna jusqu'a l'escalier, a travers un veritable dedale de fleurs, de plantes vertes et d'oiseaux. --Si j'en juge par ce que j'apercois, remarquai-je, votre petite-fille est restee campagnarde. L'oncle Jean leva les yeux au ciel avec un desespoir comique. --Tu ne vois rien! gemit-il. Rosie nourrit des poissons rouges dans sa chambre, et dans un coin du grenier, Lisbeth, a ses heures perdues, soigne l'education d'une famille de lapins blancs. En voila qui doivent s'amuser! --Des lapins de la race de Vaudelnay, peut-etre? demandai-je en songeant a l'admiration de Rosie pour mes eleves de jadis. --C'est bien possible, fit mon oncle d'un air distrait. Nous nous quittames en nous disant:--_A bientot,_--locution parallele a cette autre: _Votre couvert est toujours mis._ La phrase est courte, harmonieuse et n'engage rien. J'arrivai le surlendemain soir a Vaudelnay, moulu par les fatigues d'un voyage interminable, car j'avais tenu a ne pas quitter _Annibal_ que le chemin de fer enervait beaucoup, et que je desirais offrir intact a l'admiration des Poitevins en general et de mon pere en particulier. XI Le chateau etait rempli de monde. --Nous n'avons pas voulu que tu t'ennuies dans ta famille, me dit mon pere tout en m'accompagnant dans ma chambre ou j'allai rapidement passer un habit, car le diner attendait. Il me fit alors l'enumeration de nos hotes. Il en parlait avec tant d'interet, de plaisir et d'animation que je soupconnai,--ceci entre nous,--qu'en faisant provision de tous ces remedes fort agreables contre l'ennui, mon excellent pere avait songe aussi un peu a lui-meme. Une heure apres, mes soupcons etaient loin d'avoir diminue, et Dieu sait si je condamnais ce besoin de distractions dans l'age mur, chez un homme dont la premiere et la seconde jeunesse avaient ete moins que dissipees, j'avais pu le voir de mes yeux. Ah! comme il etait change, mon cher Vaudelnay, depuis que _les ancetres_ avaient emigre pour toujours sous les dalles armoriees de la chapelle! De tous les etres vivants que j'y avais connus, quatre seulement s'y trouvaient encore: mon pere, ma mere, moi et le jardinier devenu un personnage important, vetu comme un monsieur, commandant une escouade nombreuse de fleuristes, de legumistes et de manoeuvres. Le " clos " d'autrefois n'existait plus. Il etait change en un vaste parc ondule de monticules, creuse de pieces d'eau, coupe de plantations savantes, derriere lesquelles se dissimulait le potager, comme un beau-pere bourgeois se cache dans le coin du salon de sa fille devenue duchesse. Des serres grandioses, des ecuries modeles etaient sorties de terre. Des domestiques corrects et distingues fourmillaient silencieusement dans les corridors. Si l'on avait parle de priere en commun a cette valetaille perfectionnee, je gage que nous aurions ete " empoignes " de la belle sorte dans le _Siecle_ du surlendemain. Quant aux invites, c'etait la creme de la province, de la creme battue chaque annee par un sejour a Paris. Les gens arrieres et ennuyeux, les gentillatres de l'ancienne ecole, les chatelaines a robes de bure et a trousseaux de clefs n'etaient point de cette joyeuse serie, non plus que les jeunes filles a marier, car, d'apres les idees de mon pere, je n'etais point de ces victimes qui doivent marcher a l'autel encore blanchissantes sous le duvet de leur premiere toison. A defaut de jeunes filles, les jeunes femmes ne manquaient pas chez nous. En arrivant au salon eblouissant de lumieres, j'eus le plaisir d'en compter jusqu'a trois remarquablement jolies, et nous n'etions pas au dessert que l'une d'elles, a cote de qui j'avais ma place, me temoignait, a n'en pouvoir douter, qu'elle me faisait l'honneur de me prendre au serieux. Dans le cours de la soiree, dont quelques tours de valse combattirent victorieusement la monotonie, la seconde et la troisieme de ces dames voulurent bien me temoigner successivement des dispositions non moins rassurantes. Etre pris au serieux! Douceur a nulle autre pareille pour un ephebe de vingt-trois ans, habitue a la bienveillance defiante des mondaines de Paris pour qui la valeur semble ne pouvoir aller sans le nombre des ans! Ah! la bonne soiree, passee entre le sourire de ma mere tout heureuse de me revoir, et d'autres sourires...moins maternels! Pour la premiere fois la vie, l'esperance, la jeunesse, me disaient clairement toute sorte de choses agreables que leurs voix confuses m'avaient seulement chuchotees a l'oreille jusque-la. --Heureux mortel! tu as devant toi de longues annees d'avenir. Tu es riche, ton entretien plait aux femmes; ta tournure ne les fait pas fuir; ton nom peut contenter les plus difficiles. Enfin, pourquoi faire le modeste? tu es joli garcon. Va, tu es ne sous une heureuse etoile; ton pere est fier de toi, le sourire de ta mere te caresse; tu peux pretendre a tout! Je crois en verite que, sans sortir de Vaudelnay, j'aurais pu pretendre, sinon a tout, du moins a de serieux progres dans les bonnes graces d'une ou deux des charmantes personnes qui s'y trouvaient. Mais, sans avoir l'air d'y toucher, ma mere veillait au grain, et si, parfois, ce genre de recreation qu'on nomme aujourd'hui le flirtage semblait prendre des proportions inquietantes, deux grands yeux, encore aussi beaux qu'ils etaient honnetes, rappelaient les etourdis a la raison avant que l'ombre d'une inconsequence fut commise. Et l'oncle Jean? Et la cousine Rosie? va-t-on dire. Et l'invitation annoncee! J'en jure par le Styx, rien de tout cela n'etait sorti de ma memoire. Le lendemain de mon arrivee a Vaudelnay, apres une visite matinale a la boxe d'_Annibal_, ou tout allait bien, Dieu merci! je m'enfoncai seul dans le parc et me demandai serieusement quel etait le meilleur parti a prendre. A n'en pouvoir douter je savais que mes parents, sur un signe de moi, depecheraient au besoin trois ambassadeurs vers les habitants de la rue d'Assas, pour les ramener triomphalement en Poitou. Ce signe, etait-il prudent de le faire? Du cote de mon oncle, rien qui put embarrasser. S'il faut parler en toute franchise, il etait passablement morose, pour ne pas dire misanthrope. Mais, a son age, de pareils defauts s'excusent; d'ailleurs il les rachetait par son esprit du siecle passe, toujours fin et mordant, remarquable de charme dans les bons jours. En somme il n'etait pas un chateau de France et de Navarre ou un tel hote ne se trouvat fort a sa place. Malheureusement je me sentais moins a l'aise en ce qui concernait Rosie. Je ne l'avais pas vue depuis assez longtemps et me souvenais d'elle comme d'une personne grande pour son age, assez maigre, avec quelque chose de _desuni_ dans la tournure et la demarche, pour parler ce langage hippique volontiers employe par mes amis d'alors, quand ils peignaient les avantages et les imperfections des etres du beau sexe. Jolie, mon impression n'etait pas qu'elle le fut; a vrai dire, je ne m'etais jamais demande si elle l'etait ou non. Mais, pendant plusieurs annees de ma vie, j'avais entendu des voix severes dire a ma pauvre cousine, pour peu qu'elle eut le malheur de se regarder du coin de l'oeil en passant devant une glace: --Quel plaisir une petite fille peut-elle avoir a se mirer quand elle est aussi laide? J'ignore si ces affirmations repetees avaient fini par convaincre la coupable de sa laideur. Quant a moi, la chose ne faisait plus un doute: laide elle etait venue au monde, laide elle vivrait, laide elle devait mourir. D'ailleurs j'etais habitue au luxe, a l'elegance du grand monde ou j'etais entre du premier coup, avec l'avidite du poisson remis a l'eau qui gagne le fond en quelques battements de nageoires. D'apres mon gout d'alors, une femme ne pouvait etre jolie si elle etait mise pauvrement, et, pour de trop bonnes raisons, la toilette de Rosie ne devait pas ressembler a celle de mes fringantes amies. Enfin le souvenir qu'elle m'avait laisse etait celui d'une personne concentree, taciturne, tres timide ou tres fiere, les deux probablement. Quelle figure ferait la pauvre enfant au milieu des femmes jeunes ou habilement conservees, qui remplissaient Vaudelnay de leurs eclats de rire, de leurs mots droles ou du frou-frou de leurs robes? N'etait-ce pas lui rendre un mauvais service que de l'exposer aux avanies presque inevitables d'un contact peu fait pour la mettre en relief? La reponse a cette question ne me semblait pas douteuse, d'autant plus qu'au train ou marchaient les choses, je n'entrevoyais guere pour moi la possibilite de m'occuper de ma jeune parente: tout mon temps etait deja tellement pris! Le pour et le contre bien consideres, il me parut prudent de laisser l'oncle Jean et sa petite-fille dans leur quatrieme etage de la rue d'Assas, jusqu'a l'epoque, plus ou moins prochaine, ou nous serions rentres dans le calme a Vaudelnay. De cette facon nous jouirions mieux de leur presence, et les agrements de la villegiature ne pourraient qu'etre augmentes pour eux: c'etait profit pour tout le monde. Malheureusement, la premiere serie d'invites partie, nous ne fumes pas longtemps sans voir arriver la seconde, celle des chasseurs. Mon pere disait a qui voulait l'entendre: --Je veux que mon fils s'amuse a Vaudelnay, pour lui oter toute envie de nous quitter et de s'amuser ailleurs. Mais je voyais de plus en plus que mon pere, secretement attriste par les progres d'une maladie lente qui l'emporta, mettait sur mon compte le besoin de distractions qu'il eprouvait pour lui-meme. Quant a ma mere, elle n'avait d'autres desirs que ceux de son mari. Pour une raison ou pour une autre, les longues vacances de l'Ecole de droit passerent pour moi comme un reve. Quelques visites de voisinage a rendre a des parents ou a des amis, tous gens fort gais, acheverent d'employer mon temps. Bref, quand l'aurore du 14 novembre vint a luire, l'oncle Jean et sa petite-fille etaient toujours chez eux, ou du moins, s'ils n'y etaient plus, je n'etais pour rien dans leur deplacement. Je devais quitter mes parents le soir apres diner pour aller prendre l'express. Dans l'apres-midi, mon pere me pria de passer dans son cabinet et me tint a peu pres ce discours: --Mon cher ami, tu vas retourner la-bas. Entre nous, je n'attache pas une importance exageree a te voir devenir de premiere force sur le Code, mais j'attends de toi que tu deviennes un homme du monde accompli, et je conviens volontiers que tu es en bonne voie. Tu me rendras cette justice que je te laisse toute liberte, moi qui n'ai jamais su ce que c'est que d'etre jeune et libre. Il s'arreta quelques instants et poussa un soupir dans lequel je devinai le regret douloureux de la jeunesse disparue. J'aurais voulu pouvoir consoler mon pere; je le revoyais encore, plus jeune de quinze ans, occupant silencieusement sa place au bout de la table presidee par les _ancetres_. Mais que pouvais-je lui dire?.... Bientot il reprit: --N'oublie jamais que tu t'appelles Vaudelnay. Il y a en France des centaines de noms plus illustres, un nombre assez petit de plus anciens, pas un seul plus intact. Dans deux ou trois ans, s'il plait a Dieu, tu seras l'un des meilleurs partis de la bonne societe. Ne gache pas tous les avantages reunis en toi d'une facon rare. Tache de ne pas faire de folies; du moins n'en fais pas de malpropres. Pour cela frequente beaucoup le monde et seulement le meilleur, bien que j'entende dire qu'il se gate terriblement. Tu viendras nous faire une visite en hiver, n'est-ce pas? Je partis, sans _Annibal_ cette fois, un de mes amis de province m'ayant achete le cheval un bon prix pour la saison des chasses. Quelle joie de retrouver mon coquet appartement, de revoir le cher boulevard! En allant prendre mon inscription le jour meme de mon arrivee, je songeai que l'Ecole est assez pres de la rue d'Assas. L'occasion eut ete bonne pour faire une visite a Rosie. Mais des camarades rencontres au secretariat m'entrainerent, et je regagnai la rive droite sans avoir accompli ce pieux devoir. XII A part un ou deux, les salons de ma connaissance etaient encore fermes; mais je n'eus pas le temps de m'ennuyer pendant les premiers jours. Je deposai quelques cartes, j'eus plusieurs entretiens serieux avec mon tailleur, je reglai quelques notes arrierees. Ensuite il fallut trouver des chevaux, deux pour le phaeton, un pour la selle, puis me mettre d'accord avec le carrossier, faire choix d'une ecurie plus grande, m'assurer le concours d'un specialiste anglais--qu'auront pense les manes des _ancetres!_--pour lui confier mon attelage. Ces diverses demarches terminees, j'etais sur le point de connaitre l'ennui, quand le hasard mit sous mes pas une distraction, et des plus charmantes. _Elle_ n'etait pas du grand monde, a vrai dire, mais la haute bourgeoisie a du bon dans certain cas. Elle avouait trente ans. Riche, tres jolie, cachant sous l'exterieur le plus correct un gout secret pour les aventures, elle sembla, des notre premiere rencontre, attacher quelque prix a mes attentions. Dedaignant la fausse modestie, je dirai meme que mes progres dans sa faveur furent singulierement rapides. Je n'etais pas alle six fois chez elle (son mari etait toujours absent, mais, Seigneur, quelle nuee de domestiques et de gouvernantes!) qu'elle me demanda si j'etais connaisseur en peinture. Avec la candeur d'un jeune homme sans experience, je confessai que cet art m'etait totalement etranger. --C'est dommage! fit-elle avec un sourire qui me rendit peintre subitement. Je vous aurais demande de vouloir bien me guider, un de ces jours, dans une promenade aux galeries du Louvre. Aujourd'hui, n'en deplaise a certains romanciers, le Louvre est terriblement demode, tout au moins pour cet usage special. Mais alors il n'etait pas ridicule. Notre promenade artistique eut lieu des le lendemain, et nous n'avions pas fait cinquante pas dans le salon Carre que j'etais revenu de ma crainte d'etaler une ignorance honteuse. Je n'eus meme pas l'occasion de decouvrir si ma compagne etait plus savante que moi, car elle ne fit aucun effort pour ramener vers la peinture un entretien qui, des la premiere minute, avait pris une direction toute differente. C'etait la premiere fois qu'il m'arrivait de _faire la cour_ selon toute l'etendue et toute la signification--future et presente--que comporte le mot, et j'observai dans cette occasion, comme dans d'autres du meme genre, que les paroles, en pareil cas, importent infiniment moins que la musique. Bref, tout marchait au mieux pour une premiere audition. Nous allions lentement a travers les salles presque desertes, causant d'assez pres pour pouvoir parler a voix basse, lorsque je fus ramene sur la terre, des cieux ou je planais, par cette exclamation soudaine en langue etrangere qui vint me frapper a brule-pourpoint: --Oh! master Gastie! Je tressaillis comme si le roi Charles IX s'etait dresse devant moi avec sa problematique arquebuse, et je reconnus Lisbeth. Je crois, Dieu me pardonne, qu'elle etait occupee au meme tricot qui l'absorbait jadis, a Vaudelnay, tandis qu'elle surveillait les essais d'horticulture tentes de concert avec ma cousine. Instinctivement je cherchai celle-ci des yeux, et la trouvai sans peine assise a un chevalet qui portait la copie naissante d'une Vierge quelconque. Personne ne voudrait croire que la rencontre fut prodigieusement agreable pour aucun de nous, si ce n'est pour Lisbeth qui exultait. Rosie paraissait fort contrariee. Sans doute elle eprouvait peu de plaisir a etre surprise, dans son costume de travail moins qu'elegant, par un cousin et une inconnue qui etaient l'elegance meme. Quant a moi, depositaire du secret et responsable de l'honneur d'une femme, j'aurais voulu etre a cent lieues. On devine que ma compagne n'etait guere plus a l'aise. Nous nous regardions sans parler, et la situation commencait a toucher au ridicule, lorsque ma cousine, avec un tact remarquable, me tendit la main comme si ma presence, dans cet endroit, eut ete la chose la plus naturelle du monde. --Vous voila de retour? me dit-elle d'une voix richement timbree, bien qu'agitee d'un tremblement imperceptible. Mon oncle et ma tante vont bien? Je repondis sur le meme ton et m'etendis en eloges sur la peinture de Rosie, sans quitter le bras de celle que j'appellerai desormais madame X***. --Quand vous trouve-t-on chez vous? demandai-je pour couper court a une conversation qui, malgre tout, manquait de charme. --Tous les jours apres cinq heures. --J'irai bientot vous voir. Mon oncle se porte bien? --Tres bien, merci! Au revoir, mon cousin! --Au revoir, ma cousine! J'entrainai doucement ma compagne loin des lieux temoins de cette rencontre funeste. Je pleurais deja sur les ruines de mon bonheur. Cinq minutes plus tot, madame X*** me jurait qu'elle commettait pour la premiere fois une " imprudence " de ce genre, qu'a aucun homme avant moi elle n'avait dit une parole que son mari ne put entendre. Aussi je m'attendais a une scene terrible de reproches, peut-etre meme a une rupture prematuree, bien qu'a tout prendre l'idee de " l'imprudence " en question ne me fut guere imputable. Mais, a ma grande surprise, ma belle amie fit preuve d'un sang-froid que nul ne se serait attendu a trouver chez une debutante. Elle me demanda d'un air singulier: --Vous ne saviez donc pas que votre cousine vient au Louvre copier Murillo? --D'abord, c'est ma cousine si l'on veut, repondis-je avec diplomatie. Nous devons etre parents au vingtieme degre. Elle est sans fortune et ne va pas dans le monde. Ainsi n'ayez aucune crainte.... --Mais vous semblez tres intimes? Je racontai brievement l'histoire de Rosie et notre education sous le meme toit jusqu'a mon entree au college. --Et vous n'en avez jamais ete amoureux? questionna ma compagne. Amoureux de Rosie! moi! L'idee par elle-meme etait si plaisante que j'eclatai de rire. --Pauvre enfant! dis-je, quand j'eus repris mon serieux; je ne la vois pas rendant quelqu'un amoureux d'elle. Madame X*** me regarda comme pour voir si je parlais serieusement. Puis, sans doute edifiee par cet examen, elle ramena la conversation vers des sujets que nous preferions l'un et l'autre. Cinq minutes apres, un fiacre hele sur le quai ramenait ma deesse dans l'Olympe conjugal. Alors, libre de mes actions, je remontai dans la salle ou peignait Rosie. Enfin, j'allais pouvoir m'entretenir avec un etre humain de ma nouvelle conquete. La jeune artiste s'etait remise a sa Vierge, Lisbeth avait repris son tricot. Je m'approchai avec le meme air d'importance mysterieuse que devait avoir d'Artagnan quand il rapportait d'Angleterre les ferrets de la reine, et, parlant de facon que ma cousine seule put m'entendre: --Ma bonne Rosie, je compte sur vous pour n'ouvrir la bouche a personne de ce que vous venez de voir. En une seconde, elle eut le temps de rougir et de devenir pale, tenant fixes sur moi ses yeux noirs, honnetes et francs comme ceux de son grand-pere. --Soyez sans crainte, repondit-elle simplement. Puis, avec un sourire un peu triste, elle ajouta: --D'ailleurs, a qui pourrais-je en parler? Je ne vois personne. --Et vous venez souvent ici? --Tous les jours. --Pour peindre des copies? --Entre nous, je crois que mes originaux ne feraient pas bonne figure au Louvre. --Mais, grand Dieu! m'ecriai-je etourdiment, vous devez avoir tout un musee de copies rue d'Assas. Quand j'irai vous voir, vous me montrerez la collection. Elle s'etait remise a travailler avec le serieux que, des son enfance, elle apportait dans toutes ses entreprises. --Mes copies sont un peu partout, repondit-elle avec plus de melancolie que d'embarras. Je les vends aux eglises qui trouvent les vrais Murillo trop chers. --Pauvre Rosie! pensai-je. Moi qui l'accusais d'abandonner l'oncle Jean pour le plaisir d'aller barbouiller des toiles! Ce n'est pas son plaisir qu'elle cherche en peignant! Je me sentais pris, pour cette fille simple et courageuse, d'une grande estime et d'une sincere affection. Et puis elle etait ma confidente, la confidente de mon premier secret de jeune homme. Avec le besoin que nous avons tous de revenir au sujet qui nous tient au coeur, je lui dis, tres fier du mensonge auquel mes devoirs de gentilhomme m'obligeaient: --Vous savez, cousine: vous auriez tort de supposer qu'il y a...entre moi et cette dame... des choses... Mais une femme est si vite compromise! A votre age on ne se rend pas compte de certains dangers. --Oh! repondit-elle en me regardant encore une fois, j'ai vingt ans par l'age; mais j'en ai trente par la vie que je mene. Je me sens tellement votre ainee, Gastie! J'eprouvais je ne sais quel plaisir inconnu a entendre sa voix chaude et, tout en l'ecoutant, je venais seulement de remarquer un detail, c'est que, d'un commun accord et sans nous en douter, nous employions le _vous_ depuis une demi-heure, au lieu du _tu_ de notre enfance. --Pourquoi, lui demandai-je a brule-pourpoint, ne nous tutoyons-nous pas ici comme a Vaudelnay? Ma question l'avait contrariee sans doute, car elle eloigna d'un geste brusque son pinceau de la toile. Je crus comprendre que je l'empechais de travailler et qu'elle aurait deja voulu me voir parti. --Vous venez de le dire vous-meme, fit-elle. Nous ne sommes plus a Vaudelnay. J'eus un elan d'effusion dont je me sentis tout fier. Pourquoi n'apprecierions-nous pas les bons sentiments en nous comme nous les estimons chez les autres? --Qu'importe? repondis-je. Ne sommes-nous pas de bons camarades comme autrefois? Ecoute, Rosie, n'aimerais-tu pas avoir un compagnon devoue, sur, qui n'aurait rien de cache pour toi, te consulterait meme, au besoin; car je trouve, moi aussi, que tu as l'air d'etre mon ainee. Je viendrais te voir souvent. Tu ne sais pas avec quel plaisir je te retrouve. Je t'assure que j'ai bon coeur et que je t'aime bien. --J'en suis convaincue, dit-elle d'un air quelque peu distrait, tout en commencant a ranger son attirail. Donc nous voila redevenus bons amis. Quand tu monteras chez nous, si tu desires m'y trouver, n'arrive pas avant cinq heures. Je crains seulement d'etre un camarade assez peu amusant. Je ne connais personne et ne sais rien de ce qui se passe. --Comment peux-tu dire cela? fis-je en riant. Tu es au courant de tout. L'oncle Jean savait par toi le resultat de mes derniers examens. --Lui dirai-je que nous nous sommes vus? demanda-t-elle sans repondre a ma phrase. Je fus force de convenir qu'il valait mieux ne point parler de ma visite au Louvre, attendu les circonstances delicates qui l'avaient signalee. Nous nous quittames en nous promettant de nous revoir bientot. XIII J'etais le plus heureux des hommes, le plus fier aussi: je possedais un tresor dans la personne de madame X***; je savourais les joies de ma premiere conquete serieuse. Je ne vivais plus que pour cette femme. Je cherchais a la retrouver dans le monde,--moins aristocratique que celui de mes debuts,--ou je la suivais presque chaque soir. Lorsque des devoirs odieux la tenaient eloignee, je n'avais qu'une seule consolation: penser a elle; un seul desir: en parler. Ce n'etait pas que des tentations charmantes ne vinssent, presque chaque jour, mettre ma constance a l'epreuve. On aurait dit, ma parole, que je portais ce nom bien-aime sur mon chapeau, de meme que les matelots arborent en lettres d'or le nom du batiment ou ils servent. J'ose dire qu'il n'aurait tenu qu'a moi de m'engager sous d'autres couleurs. Coquetteries, regards langoureux, insinuations plus ou moins claires, billets anonymes ou signes, tous les traits de l'arsenal feminin pleuvaient sur moi comme sur une cible vivante. Mais j'avais jure a la reine de mon coeur de l'adorer jusqu'a mon dernier soupir, et j'etais bien resolu a tenir mon serment. Je recevais sans me facher les oeillades, les prevenances, voire meme les billets; mais je restais de marbre, et cette indifference, comme il arrive toujours, semblait redoubler l'audace des agressions. Je n'avais pu m'empecher, tout d'abord, de parler a quelques amis intimes de la passion qui me dominait. Mais a peine commencais-je a leur vanter les charmes de madame X*** (je serais mort, bien entendu, avant de la nommer), que ces jeunes gens ripostaient par les louanges d'une madame Y*** quelconque et, par le diable! ils avaient l'infamie de la nommer, quelquefois. Dans ces conditions, l'entretien prenait immediatement les allures de ces eglogues de Virgile ou deux bergers s'evertuent, chacun a leur tour, a celebrer l'objet de leur flamme. Tout au contraire, je trouvais chez ma cousine un auditeur, sinon enthousiaste, du moins resigne a m'entendre et, surtout, n'ayant aucun motif personnel pour m'interrompre. Aussi, allais-je la voir assez souvent, presque toujours au musee. Rue d'Assas, nous trouvions un pretexte, a un moment quelconque de ma visite, pour laisser l'oncle Jean a ses livres; nous pouvions alors causer librement. Certes, je n'avais garde d'oublier que je parlais a une jeune fille dont les oreilles devaient etre respectees. Mais Rosie me l'avait avoue elle-meme: au point de vue de la raison et du bon sens, elle avait trente ans. --Pauvre amie! lui disais-je d'un air profond; tu en as dix en ce qui concerne l'amour. Tu ne sais pas ce que c'est! Alors je commencais de veritables conferences sur ce vaste sujet dans lequel je me sentais passe maitre, et, pareil a ces professeurs de mineralogie qui appuient leurs doctrines en tirant des cailloux de leur poche, j'illustrais les miennes en produisant, comme echantillon, quelque billet recu le matin, quand il etait de nature a passer sous les yeux de mon eleve. Parfois, pour dire toute la verite, l'eleve jetait sans s'en douter quelques gouttes d'eau sur les convictions ardentes de son maitre. Cette innocente avait la manie des objections. J'y repondais toujours et m'arrangeais pour avoir le dernier mot, mais, de temps a autre, en redescendant l'escalier, je me sentais moins fier de moi, moins satisfait des autres, moins assure d'un avenir eternel de bonheur. Cette enfant sans experience avait des profondeurs de logique, des delicatesses de penetration qui m'etonnaient. Ce que je lui pardonnais le moins, c'etait le peu d'envie qu'elle temoignait pour le bonheur que je donnais a une autre, pour celui que j'en recevais. On aurait dit que cet or etait du cuivre a ses yeux. --Va! tu n'y entends rien, m'ecriai-je un jour, impatiente; tu es faite pour le pot-au-feu. --Et toi pour la confiture de roses, me repondit ma cousine. Or le pot-au-feu est l'embleme de ce qui dure; tu t'en apercevras tot ou tard. Depuis lors, dans nos grandes discussions, je l'appelais ironiquement " miss Pot-au-feu ", a quoi elle ripostait en me demandant des nouvelles de madame " Confiture-de-Roses ". Plus vexe que je n'en avais l'air, je lui disais: --Enfin, tu l'as vue; tu ne peux pas nier qu'elle ne soit jolie? --Peuh! repliquait ma cousine avec une moue, beau merite quand on n'a pas autre chose a faire! Donne-moi seulement sa couturiere et sa modiste. Pour le reste, je m'en charge, puisque je sais peindre. La premiere fois, je bondis a cette odieuse insinuation. Neanmoins, quand je me trouvai, quelques heures plus tard, en face de madame X***, je ne pus m'empecher de l'examiner...autrement que je n'avais fait jusqu'alors. Et j'en voulus beaucoup a Rosie d'avoir eu de trop bons yeux. De quoi se melait cette petite fille? Vers la fin de l'hiver, je decouvris quelque chose de plus grave, dont je faillis mourir de douleur. Madame X*** etait une meprisable coquette, pour ne rien dire de plus, et se moquait de moi, tant qu'elle pouvait, avec un financier non moins connu par ses bonnes fortunes que par sa fortune. Pendant deux jours la honte m'empecha d'aller conter ma peine a Rosie. Le troisieme je ne pus y tenir tant je me sentais malheureux, et j'etalai mes maux dans la mesure du possible aux yeux de ma confidente. --Pauvre ami! dit-elle. Je te plains de tout mon coeur. Sa bouche prononcait des paroles de compassion, mais son visage brillant d'une sorte de rayonnement chantait une autre antienne. Sans doute elle eprouvait cette volupte si chere a toutes les femmes de pouvoir dire: --Je l'avais bien prevu! Elle ne le dit pas toutefois, et sagement elle fit, car je crois que je l'aurais battue. --Ah! Rosie, m'ecriai-je. Que va-t-il arriver de moi? Je ne me consolerai jamais. La fausse creature! --Bon, fit-elle, d'autres te consoleront. Si je sais lire, il y a de par le monde quelques bonnes ames toutes pretes a reparer les torts de madame Confit.... Mes traits durent prendre un aspect terrible a cette plaisanterie, car ma cousine s'arreta court. Au bout d'une semaine, mon desespoir n'etait pas calme et je ne pouvais plus voir Paris en peinture. Je voulus essayer d'aller dans le monde par redoublement. Helas! la vue seule d'une femme me soulevait le coeur. Les unes m'exasperaient par un air de moquerie insupportable que je croyais voir percer sous leur sourire. Les autres m'indignaient par je ne sais quelle expression de joie discrete. Supposaient-elles, par hasard, qu'elles allaient recueillir la succession de mon infidele! --Ah! Rosie, m'ecriai-je un jour, il est dur d'avoir mon age, et de mepriser deja toutes les femmes. --Toutes? fit-elle en levant sur moi de grands yeux severes. --Oui, toutes! repondis-je en frappant du pied; a l'exception d'une sainte qui est ma mere. --Et moi? demanda-t-elle avec un regard tout different, le regard mouille de la Rosie d'autrefois. La question etait si drole dans sa bouche que je retrouvai la force de repondre par une plaisanterie. --Oh! vous, miss Pot-au-Feu, vous n'etes pas une femme, et je vous en felicite bien sincerement. La Providence eut pitie de moi. Le lendemain meme j'apprenais qu'un de mes amis intimes venait d'acheter un yacht, et qu'il partait la semaine suivante pour une croisiere dans les mers de Grece et dans le Bosphore. Je courus chez lui et m'informai s'il pouvait me donner une cabine. --Sauf la mienne, dit-il, je peux te les donner toutes. Je n'emmene personne. --Allons donc! Ce grand voyage a toi tout seul? Quelle idee! --Mon cher, je te previens loyalement que je serai un compagnon lugubre. Je quitte la France pour tacher d'oublier un grand chagrin de coeur, une cruelle ingratitude. Je pris sa main et la broyai silencieusement dans la mienne. --Et moi, dis-je a mon tour, je pars pour que la perfide qui m'a tue n'ait pas le plaisir de savourer mon agonie. Ainsi lances, nous nous montames la tete mutuellement. Heureusement qu'il s'agissait d'une simple promenade en yacht. Si nos jeunes desespoirs avaient suivi la direction moins hygienique du revolver ou du poison, je tiens pour certain que nous nous serions grises de nos paroles jusqu'a commettre quelque betise irreparable. Seance tenante, nous deliberames sur bien des choses, notamment sur la question de savoir comment nous partirions. Mon ami tenait pour une disparition silencieuse et digne, quelque-chose comme " un chagrin qui sombre dans l'inconnu ", je me souviens encore de ses paroles. Quant a moi j'etais d'un avis tout oppose. --Pourquoi nous enfuir comme des voleurs quand c'est nous qui sommes voles, trahis, meconnus! Je n'etonnerai personne en disant que mon opinion l'emporta. Nous commencames nos adieux, promenant partout nos airs accables, comme les gens qui ont eu un duel promenent leur bras en echarpe. Trois jours apres, chacun savait dans le cercle de mes amis et connaissances que j'allais expirer d'un amour malheureux sur quelque rivage desole de l'Archipel. Je n'avais prononce aucun nom, trouvant la moindre indiscretion, meme en pareil cas, indigne d'un gentilhomme. Et cependant je pus constater que personne ne s'y trompait. C'etait a croire que les bontes de madame X*** a mon egard, puis sa perfidie odieuse, avaient ete affichees a la mairie parmi les publications de mariage. O sublime lachete d'un coeur epris! J'adorais plus que jamais l'infidele; j'aurais oublie tout orgueil sur un signe de sa main. Par je ne sais quel besoin d'humiliation volontaire, j'en fis l'aveu a ma cousine en lui disant adieu, la veille de mon embarquement. --_Elle_ sait que je pars, dis-je. Il est impossible qu'elle l'ignore. Je l'ai raconte a cent personnes. Me laissera-t-elle m'eloigner ainsi? Ne vais-je pas trouver, en rentrant chez moi tout a l'heure, un billet avec ce simple mot: " Restez! " Ne m'ecrira-t-elle pas, dans quelque temps, d'interrompre mon voyage et de venir reprendre ma chaine. Ma cousine ne repondit pas, et l'air ennuye de son visage me fit souvenir que, malgre les trente ans qu'elle se donnait, ses oreilles ne devaient pas en entendre davantage. --Et toi, Rosie, dis-je pour quitter le sujet brulant, je pense que tu m'ecriras? --Bah! fit-elle. Pour te parler de quoi? Mes lettres seraient mortellement ennuyeuses. --Mais non, mais non, protestai-je poliment. Tu me parleras de toi, de ta peinture, de l'oncle Jean. Tes lettres me feront le plus grand plaisir, au contraire. Je sais que tu es pour moi une amie devouee et, quand le coeur souffre.... Je m'arretai, vaincu par l'emotion. Ma cousine me repondit avec un soupir resigne: --Je t'ecrirai puisque tu l'exiges. Ton adresse? --Poste restante, a Constantinople. Nous rejoignimes l'oncle Jean et je pris conge de lui avec une cordiale poignee de mains. Je plantai deux gros baisers sur les joues de ma cousine, et je rentrai chez moi pour achever mes malles. J'avais prevenu mes parents que j'allais faire une excursion de deux mois, m'excusant sur la soudainete du depart de ne point aller leur dire adieu. " Je t'approuve, m'avait ecrit mon pere. A ton age il est bon de voyager. Regarde bien pour te souvenir des belles choses que tu auras vues, pour nous les raconter au retour. Je t'envie. Comme tu vas t'amuser! " Pauvre pere, il ne se doutait pas que je partais avec la mort dans l'ame! Il parlait de retour.... Le voyageur dont le desespoir conduit les pas sait-il ou, quand, comment se terminera son odyssee? Le moment du depart etait arrive sans que mon infidele eut donne signe de vie. Mon ami et moi avions l'air de deux condamnes a mort, lorsque la _Galathee_ nous emporta loin des cotes de la Provence, sur lesquelles nos yeux abattus cherchaient en vain deux ombres ingrates et oublieuses. XIV Que les ames compatissantes se rassurent. La montagne glacee de desespoir qui m'ecrasait, le coeur sembla se fondre a mesure que le charbon diminuait dans nos soutes. Il faut que l'air de la Mediterranee possede des proprietes singulierement consolatrices, car nous n'avions pas encore touche a Naples que j'entrevoyais deja la possibilite de vivre avec ma blessure. --Je souffrirai jusqu'a mon dernier jour, pensais-je en voyant fuir le sillage bleu, lame d'argent par l'helice infatigable. Mais je sens que j'aurai la force de ne pas mourir. Seulement, qu'on ne me parle plus jamais d'amour! Que l'ironie de ce mot odieux ne frappe plus jamais mes oreilles! Une seule femme pourra se faire gloire d'avoir vaincu, subjugue, trahi Gaston de Vaudelnay. Que les autres en prennent leur parti! Desormais il defie tous leurs decevants artifices. Quand nous reprimes la mer, apres une visite a Pompei, cette belle morte dont le suaire de cendres s'est ecarte sous des mains profanes, il me semblait que le souvenir de madame X*** et celui de toutes ces beautes dont je venais de contempler les appartements et les bijoux, comptaient un nombre de siecles a peu pres egal. En longeant les cotes de Cythere,--nous aurions rougi de perdre une heure pour y aborder,--je souriais avec orgueil comme si j'eusse contemple la capitale devastee d'un ennemi desormais impuissant. Ah! qu'il faut se garder de ces inutiles fanfaronnades! Au Parthenon, sous ces colonnes aux tons d'ocre parmi lesquelles semble glisser encore la blanche tunique aux longs plis de la chaste deesse, des voix mysterieuses, melees a l'encens des sacrifices, chantaient a mes oreilles: --Vis sans aimer, et tu vivras heureux! Et deja j'eprouvais je ne sais quel vague bonheur de vivre, de respirer l'odeur des jasmins flottant a travers les rues poudreuses, de suivre d'un regard charme les jeunes Atheniennes aux yeux noirs, allant remplir leurs amphores a la fontaine. Enfin l'avouerai-je? Tandis que je gravissais les pentes de Galata pour aller prendre mes lettres a la poste francaise de Constantinople, une pensee me preoccupait: --Pourvu qu'_elle_ ne m'ait pas ecrit de revenir! Car j'aurais ete l'homme le plus contrarie du monde s'il m'avait fallu dire adieu si vite a cet Orient que j'entrevoyais a peine et qui deja me captivait. Oh! la ville sainte avec ses minarets et ses coupoles noyes dans la verdure! Oh! le Bosphore avec sa double bordure de palais endormis! Oh! les musulmanes drapees dans leurs satins clairs, laissant voir a travers la mousseline complaisante du _yachmak_ leurs grands yeux noirs, si provocants sous la frange des cheveux dores par le henne!.... Trois lettres seulement m'attendaient a la poste: deux sur lesquelles je comptais, celle de ma mere et celle de Rosie, la troisieme d'une ecriture inconnue, ronde, moulee comme les caracteres d'un ecrivain public. L'enveloppe carree, en papier jaune, avait les allures froides d'une correspondance d'affaires. Il ne faut pas se fier aux apparences. Voici ce que je lus dans la missive mysterieuse que j'avais ouverte tout d'abord: " Monsieur, " Nous nous sommes rencontres plusieurs fois dans un salon qui porte un des plus vieux blasons de France, mais je ne vous nommerai pas les maitres de la maison, pas plus que je ne vous laisserai deviner qui je suis moi-meme. " Vous voudriez savoir au moins quels ont ete nos rapports, si nous avons souvent cause, danse ensemble, ce que nous nous sommes dit, si je vous ai plu, si vous m'avez fait la cour. Peut-etre avez-vous la curiosite--flatteuse pour moi--de connaitre mon impression sur votre personne. Voila bien des questions, mais vous n'aurez de reponse qu'a la derniere. Vous interesserait-elle moins que les autres? Avouez que non. " Eh bien, monsieur, je pense de vous des choses...que je me suis bien gardee de vous dire, ou meme de vous laisser soupconner. Mais, s'il vous plait, n'allez pas croire que c'est par modestie ou par crainte de vos dedains. Je connais vos gouts. Je vous ai trouve parfois moins difficile pour d'autres femmes qu'il ne vous serait, a coup sur, permis de l'etre. J'ai constate en vous des... indulgences faites pour encourager de moins modestes que moi--et de plus mal partagees. Mais qu'aurais-je gagne a me faire ouvrir les portes du temple? Je m'y serais trouvee en trop nombreuse compagnie! Je ne comprends que les chapelles bien fermees, avec un seul tabernacle et une lampe qui brule fidelement, sans jamais s'eteindre. Vos enthousiasmes, autant que je puis croire, ressemblent a ces decors de feu d'artifice qui s'embrasent tout a coup et disparaissent tres vite, pour faire place au numero suivant du programme. " Avec tout cela--vous allez bien rire--j'ai beaucoup souffert et je souffre encore, car je vous aime. Eh! bien, ne riez pas trop; ne dites pas: " Bon, encore une! " Oui, je vous aime, et, sans doute, je ne suis pas la premiere qui vous l'ecrive. Mais ce qui me distingue des autres, c'est que je vous aimerai toujours, et que vous ne saurez jamais qui je suis. Vous haussez les epaules? Vous dites que je joue un air connu? Vous verrez que non. Dans dix ans, vous n'en saurez pas plus qu'aujourd'hui. Et, dans dix ans, je vous aimerai encore. " D'ailleurs, si j'etais comme les autres, je n'aurais pas attendu que vous fussiez a sept ou huit cents lieues de la France pour vous dire que ma pensee ne vous quitte pas, que je donnerais ma vie, si elle m'appartenait, pour embellir la votre, que vos yeux, quand ils rencontrent les miens, me donnent le plus grand bonheur que je me souvienne d'avoir connu. " Et cependant la tendresse du meilleur et du plus noble des etres m'entoure d'une constante adoration. Mais je vous aime, et je suis tellement malheureuse de ne vous l'avoir jamais dit, que j'essaye de vous le dire afin de voir si, desormais, je serai plus heureuse. " Voila tout, monsieur, et notre correspondance doit s'arreter ici. Toutefois, il me serait agreable de savoir que vous avez recu cette lettre qui contient--j'ai l'orgueil de le croire--quelque chose de plus precieux qu'un paquet de billets de banque: un coeur qui ne s'etait jamais donne. Vous m'apprendrez sincerement ce que vous pensez de cette folie. Mais tout le bien ou tout le mal que vous pourrez me dire n'empecheront pas que ces lignes ne soient les dernieres ecrites pour vous par " UNE AMIE DEVOUEE. " Pour toute signature, cette missive etrange portait une pensee finement dessinee a la plume. Le post-scriptum invitait a repondre sous des initiales compliquees au bureau de poste de la Madeleine, a Paris. Quoi que l'on doive penser de moi, j'avouerai que je relus deux fois cette lettre avant d'ouvrir les deux autres, lesquelles, d'ailleurs, ne contenaient rien, a beaucoup pres, d'aussi interessant. Ma mere me donnait en detail les nouvelles du jour de Vaudelnay, terminant sa quatrieme page par des recommandations instantes de bien me soigner et " d'etre prudent dans un pays ou la vie des hommes est comptee pour si peu de chose ". A coup sur, en ecrivant ces lignes, ma chere mere avait des visions de pals, de poignards et de sacs de cuir immerges dans le Bosphore avec deux victimes--de sexe different--s'y debattant contre la mort. Quant a ma cousine, en la lisant on croyait l'entendre. C'etait la meme affection simple, raisonnable, eloignee de toute exaltation de pensee et de langage. Pauvre miss Pot-au-Feu! Malgre tout, sa prose aurait pu me paraitre charmante, sans la rivale inconnue aupres de laquelle cette ame naive semblait singulierement terre a terre. Qui etait-elle donc cette autre femme, romanesque et vertueuse tout a la fois, dont l'amour tombait sur moi comme la fleur parfumee qui effleure le front du voyageur traversant un bois d'orangers? Comment l'avais-je vue sans la remarquer? Ou l'avais-je rencontree? Par quelle seduction involontaire avais-je pris sa tendresse? Pendant une heure, je fouillai par la pensee quatre ou cinq des salons les plus haut cotes comme aristocratie que je frequentais jadis, du temps ou madame X*** ne m'entrainait pas a sa suite dans un monde moins blasonne. Quelques profils vagues, a demi perdus dans la penombre d'un souvenir eloigne, se presenterent a mes yeux. J'appelai mon imagination a mon secours pour peindre le portrait de l'inconnue. Je me figurais une femme grande, blonde, melancoliquement reveuse, d'une beaute poetique, unie par un mariage de raison a quelque epoux trop age pour elle, plein de merite et tres affectueux, mais qu'elle n'avait pas pu aimer. Pourquoi me donnait-elle cet amour ideal et profond, a moi qui me sentais si peu digne d'une offrande aussi precieuse, a moi dont les graces moins qu'etherees d'une coquette avaient tourne la tete et conquis l'admiration? Et pourtant ma correspondante anonyme semblait avoir peu d'illusions sur mon compte. La preuve en etait dans certaine phrase de sa lettre et, plus encore, dans cette defiance a mon egard qu'elle manifestait sans menagements. O variations bizarres et soudaines du coeur humain! La veille encore, ma reputation naissante d'homme a succes paraissait a mes yeux comme une aureole de gloire, pittoresquement voilee par le crepe funebre d'une trahison. Et voila qu'a cette heure je n'avais plus qu'un desir: convaincre cette douce amie que j'etais un chevalier fidele et discret, digne d'etre aime, digne d'etre admis a la voir, a m'agenouiller devant elle, a baiser ses mains ou tout au moins le pli de sa robe. Mon enthousiasme etait si grand que je voulais d'abord partir sur l'heure, courir chercher cette tendre creature dans chaque rue, dans chaque maison de Paris, la guetter pendant un mois, s'il le fallait, au guichet de la poste ou elle devait venir prendre ma reponse. La reflexion me fit voir qu'il fallait arriver a elle par d'autres moyens, si toutefois je devais etre assez heureux pour percer un jour ce charmant mystere. Sans prendre le temps de redescendre au port et de regagner la _Galathee_, j'entrai dans un des hotels de Pera et je demandai de quoi ecrire. Je me souviens que ma lettre commencait ainsi: " Madame, ce que vous appelez ironiquement " mon temple " n'est plus, a cette heure, qu'un monceau de ruines sur lesquelles se dresse la chapelle " bien fermee " ou vous voulez que je vous adore. La pauvre lampe de mon coeur est allumee devant l'autel. Une seule chose manque a ce culte nouveau et cheri: l'image, le nom de celle qui m'a converti de mes erreurs grossieres. " Ce nom je l'attends, je l'invoque; cette image, cachee derriere son voile de purete, mon respect l'implore a genoux. Apotre de l'amour chaste et vrai, vous avez, d'un seul mot, renverse mes idoles. Ce n'est que la moitie de votre tache bienfaisante et j'ai le droit de vous dire: Ne mettrez-vous rien a la place de ce que vous avez detruit?.... " Pendant de longues pages, mon zele de neophyte s'epanchait avec ce lyrisme qui fera sourire, j'en ai peur, la plupart des hommes qui ont aujourd'hui vingt-cinq ans, l'age que j'avais alors. Je reniais les erreurs du passe, particulierement madame X***, ne la designant, bien entendu, que par des allusions sagement voilees. Pour l'avenir, je m'engageais par les plus redoutables serments a devenir le modele de ceux qui aiment. Mais je donnais a entendre que toutes ces belles resolutions dependaient du nouvel arbitre de ma vie. Au prix d'une reponse courrier par courrier, je garantissais ma perseverance. Que si ma belle correspondante executait ses menaces de silence perpetuel, Dieu sait ce qui adviendrait de moi! Me reverrait-on jamais? Ne promenerais-je pas mon egarement, pecheur endurci, de la Turquie aux Indes, des Indes en Chine, de la Chine au Japon, plus loin si c'etait possible? Mes parents s'eteindraient dans les larmes! A qui la faute? Une reponse, une reponse contenant ne fut-ce qu'une lueur d'espoir, et je rentrais en France a l'instant meme, corrige de toutes mes erreurs, portant dans ma poitrine un coeur nouveau. C'etait a prendre ou a laisser. Positivement, j'avais un peu perdu la tete. Ma lettre partie, je comptai les heures qui me separaient du retour du courrier. Que dis-je, les heures? c'etait bel et bien l'affaire de deux semaines, car, a cette epoque, l'_Orient-Express_ ne roulait pas encore entre Paris et Varna. Pendant ces quinze jours, mon ami et moi nous courumes les ruines, les bazars, les mosquees, de Stamboul a Scutari. En outre la _Galathee_ chauffa plus d'une fois pour nous conduire soit aux iles des Princes, soit dans le haut Bosphore, soit meme sur les cotes les plus voisines de la mer Noire ou, par parenthese, un coup de vent d'est faillit me noyer, moi et ma chapelle toute neuve, encore veuve de sa statue. D'ailleurs aucune aventure d'un genre plus doux; pas la moindre tentation, ce qui est, pour les nouveaux convertis de mon espece, la meilleure garantie de perseverance. Dieu sait ce qui serait arrive si j'avais fait mon stage de vertu dans un pays ou les femmes sont moins cloitrees! Enfin le paquebot de la malle francaise fut signale au semaphore de Galata, dont j'avais appris les series de pavillons par coeur. O joie! le guichet de la poste s'ouvrit pour laisser passer dans mes mains une enveloppe de cette meme ecriture renversee que mes yeux avaient relue si souvent. Ma divinite n'etait point inexorable et m'epargnait le voyage du Japon qui, entre nous, me donnait a reflechir. " Monsieur, m'ecrivait-on, j'aime trop vos parents--sans les connaitre--pour les priver si longtemps de la presence de leur fils. Vous vouliez une reponse; la voici. Quant au reste, vous me permettrez bien de vous dire que je ne saurais prendre toutes vos belles paroles pour argent comptant. Je me defie des conversions si faciles et si promptes, et j'estime qu'il y faut un peu de martyre, tout au moins quelques cicatrices de fer ou de feu, quelque epreuve de confrontation avec les betes de l'amphitheatre. " D'ailleurs, il faut en prendre votre parti. Votre chapelle--je vous felicite de l'avoir edifiee si aisement--contiendra quelque jour, si Dieu m'ecoute, une statue fidelement honoree. Mais ce ne sera pas la mienne, qui ne saurait quitter la modeste niche ou la retient le devoir. Je vous repete que je vous aime, que je vous aimerai toujours. Vous l'avoir dit, savoir que vous ne l'ignorez plus, bien que vous ignoriez tout le reste, cela me procure deja des douceurs infinies. Depuis que j'ai cesse d'etre une enfant, je ne me souviens pas d'avoir connu quelque chose qui touche au bonheur d'aussi pres. " Peut-etre, puisque vous allez revenir, vous apercevrai-je de loin en loin, mais mon secret sera mieux garde que jamais, car il doit l'etre; je mourrais de honte s'il en etait autrement. Mais je suivrai tendrement des yeux votre chemin dans la vie. Et meme, si vous restez digne de moi, ma plume viendra vous dire de temps en temps que je suis fiere de vous et reconnaissante, jusqu'au jour ou une autre, celle qui sera votre femme, vous le dira des levres. Je rougis de ma faiblesse, car je m'etais jure de vous ecrire une seule fois. Mais cette faiblesse n'enleve rien a personne. Elle ne m'empechera de remplir aucun des devoirs de ma vie.. et vous, ami, jusqu'a present vous n'avez guere de devoirs. " Une fleur de pensee, comme la premiere fois, remplacait la signature absente. J'y posai mes levres. --Qui sait, me disais-je tout bas, si d'autres levres n'ont pas donne rendez-vous aux miennes a cette place? Le courrier m'apportait seulement deux lettres: celle que je viens de dire, et une seconde, de la main de ma mere. Rien de ma cousine, ce jour-la, mais je n'avais pas le droit de me plaindre, car la pauvre miss Pot-au-Feu attendait encore sa reponse. Aussi, que pouvais-je bien repondre a cette tranquille et prosaique personne, si eloignee de la note actuelle de mon esprit que j'aurai du me battre les flancs pendant une heure pour lui ecrire vingt lignes! Lui raconter ma bonne fortune platonique et epistolaire? A quoi bon? La froide ecriture pouvait-elle initier cette profane aux mysteres du grand amour? Moi, je le comprenais, le grand amour; je le respirais; je me mouvais dans cette atmosphere a la fois pure et troublante comme celle des hauts sommets. Parfois, etonne du sentiment nouveau qui m'absorbait, j'avais peur d'etre la proie d'une folie passagere, eclose dans mon cerveau sous l'ardeur du ciel d'Orient. Ou bien, peut-etre, je subissais, malgre moi, l'influence d'une tendresse passionnee qui m'obsedait de loin. Peut-etre mon coeur s'egarait a la poursuite d'une chimere, dont je me moquerais bientot moi-meme ainsi que d'un songe incoherent. Et si jamais le hasard ou la constance de mes efforts me mettaient en face de mon inconnue, ne m'apercevrais-je pas de mon erreur, de mon impuissance a l'aimer? --Tu l'aimeras eperdument si tu peux la decouvrir, me repondait mon coeur. Et, si elle t'echappe, le couronnement du bonheur manquera toujours a ta vie. Desormais, chaque heure passee sur ce sol lointain me semblait perdue.... Je courus rejoindre mon ami. --Ecoute, lui dis-je; il faut que je rentre a Paris. Tu ne m'en voudras pas si je t'abandonne? --J'allais te proposer de partir, me repondit le maitre et seigneur de la _Galathee_. Je m'ennuie atrocement dans cette ville ou les femmes sont des fantomes. Les Parisiennes ressemblent a la lance d'Achille. Blesse par elles, c'est par elles qu'on doit etre gueri. Demain, au soleil levant, nous verrons disparaitre dans les flots d'or la pointe du Serail. Mais toi, que t'arrive-t-il? Tu resplendis. Gageons qu'_elle_ t'ecrit de revenir. Je racontai discretement mon histoire. Au reste, vu les circonstances, il m'eut ete difficile de me montrer indiscret. --Tu m'as joliment l'air d'un homme sur le point de se faire rouler, grommela cet affreux sceptique. Je m'enfuis pour ne pas l'etrangler. A l'aube suivante, quand le bruit des anneaux de fer martelant l'ecubier m'annonca que nous etions en train de lever l'ancre, je n'avais guere ferme l'oeil. Cinq jours apres, mon compagnon et moi nous prenions place dans l'express qui quitte Marseille a six heures du soir. Encore quelques moments, et j'allais respirer le meme air que la dame aux pensees! XV Ma premiere course dans les rues de Paris fut pour le bureau de poste de la Madeleine, ou j'eus a debourser les frais d'un affranchissement considerable. Je n'avais pas perdu mon temps durant nos cinq jours de traversee, et le paquet volumineux qui tomba dans la boite avec un bruit sourd de colis, ressemblait moins a une lettre d'amour qu'au manuscrit depose furtivement par un auteur ingenu dans l'orifice beant de l'officine d'un journal. Il y avait de tout dans ce volume. Souvenirs d'enfance et de jeunesse, detestation de mes erreurs passees, protestations pour l'avenir, essai d'apologie, dithyrambes en l'honneur de l'amour ideal qui, desormais, devait remplir ma vie, tout cela se trouvait melange dans ces nombreuses pages qui se terminaient par un appel a la clemence. " Vous pouviez, disais-je, me laisser ignorer toujours mon bonheur. Avez-vous le droit, maintenant, de causer mon malheur pour toute ma vie? Quel mal vous ai-je fait pour que vous me torturiez ainsi? Qu'avez-vous a craindre de moi? Le nom que je porte n'est-il pas pour vous un sur garant que mes sentiments sont ceux d'un gentilhomme? Ne sentez-vous pas que je vous respecterais comme une sainte, que je me contenterais du bonheur de vous apercevoir quelquefois si, comme vous le dites, mon malheureux destin nous separe? Ou bien pensez-vous que je vous aimerais moins apres vous avoir vue? Ah! c'est votre ame, c'est votre coeur que j'aime! Que m'importe le reste!.... Mais quelle folie! Je gagerais dix de mes annees que le reste est charmant. " De la Madeleine au Louvre je ne fis qu'un bond. Certes la tranquille Rosie n'etait point, pour cette aventure d'un romanesque inedit, l'auditeur que j'aurais souhaite. Mais je n'avais pas le choix, et d'ailleurs, a defaut d'autres qualites, ma cousine avait celle d'une resignation parfaite comme confidente. Pour cet emploi, elle aurait charme Corneille ou Racine. Je la trouvai, comme quelques mois plus tot, assise a son chevalet, copiant la meme Vierge, avec Lisbeth attelee au meme tricot. En me voyant, elle eut un petit cri de surprise. --Comment! deja de retour? Que se passe-t-il donc? Je ne t'attendais que dans un an pour le moins. --Il se passe, repondis-je, que ton cousin est a la fois le plus heureux et le plus infortune des hommes. Tiens, lis ces lettres. --Doucement! fit ma cousine en retirant sa main comme a l'approche d'un fer rouge. Ta confiance m'honore, mais tu oublies a qui tu parles, et, l'autre jour, il m'a fallu me confesser d'avoir un peu trop ecoute tes confessions. --Tu peux lire, insistai-je. Tu ne te confesseras point d'avoir parcouru ces pages adorables. Je te conseille meme de les apprendre par coeur: tu ne pourrais qu'y gagner. Avec un leger soupir, elle posa tranquillement sa palette, son appuie-main et ses pinceaux. Elle rougissait peu a peu et, quand elle fut au bout de la seconde lettre, avec ses yeux brillants et ses joues fleuries comme des roses pourpres, elle etait, Dieu me pardonne, absolument jolie. Mais, en ce moment, il etait bien question de savoir si Rosie etait belle ou non! --Qu'en dis-tu? demandai-je en replacant sur mon coeur les precieux autographes. Elle haussa doucement les epaules, des epaules d'un dessin parfait. Tout en se remettant a son travail, elle me repondit: --Tu vas te facher; tant pis! Eh bien, vous etes fous tous les deux: elle d'ecrire de semblables fadaises a un monsieur qu'elle connait a peine. La malheureuse! Que ne puis-je decouvrir tout a l'heure son adresse et son nom! Je me ferais un devoir de courir chez elle pour lui crier: " Casse-cou! " Entre femmes on se doit ces avertissements. Quant a toi, je te trouve encore plus ridicule, et je gagerais ce Murillo contre ma copie que tu as affaire avec un vieux laideron sentimental. Et c'est pour cela que tu as coupe par le milieu ton beau voyage d'Orient! --Rosie! vociferai-je en prenant mon chapeau, tu es nee pot-au-feu et pot-au-feu tu mourras! Je te quitte pour te revoir seulement le jour ou j'aurai decouvert mon inconnue. Tu verras si c'est un vieux laideron! --Bon! dit-elle avec son franc rire de camarade, notre separation sera un peu longue! Sois sur que la dame est trop avisee pour se laisser voir. Signons la paix; je ne dirai que ce que tu voudras. Mais enfin, mon pauvre ami, que comptes-tu faire? --La chercher dans tout Paris, maison par maison. Et, surtout, la convaincre avec le temps, dusse-je y mettre dix ans de ma vie, que je suis digne d'elle et qu'elle peut se reveler a moi. --Tu seras bien avance quand tu te trouveras en face d'une personne mariee, mere de quatre enfants! --Elle deviendra veuve, et ses enfants seront les miens. Dans tous les cas, je la verrai quelquefois. Je ne veux plus vivre sans cette femme. Je l'adore avec passion! Je criais si fort, que Lisbeth, embarrassee par ce qu'elle entendait malgre elle, plongeait sa tete dans son tricot. Quant a ma cousine, elle partit d'un grand eclat de rire. Jamais je ne l'aurais crue susceptible d'une gaiete aussi bruyante. --Par ma foi! dis-je, parodiant sans y tacher le Misanthrope, je ne vois pas en quoi je suis si risible! --Pardonne-moi, mon bon Gastie. Mais je te vois encore tel que tu etais a cette meme place, l'automne dernier, faisant les honneurs du Musee a certaine elegante, avec des airs convaincus. Tu te souviens de madame Confiture-de-Roses? Elle s'essuya les yeux ou le rire avait mis quelques larmes brillantes, qui lui allaient fort bien. --A propos, reprit-elle, sais-tu quelle idee me vient? Si cette superbe personne etait en train de se moquer de toi grace a un deguisement d'ecriture! Si ta passion d'alors et celle d'aujourd'hui ne faisaient qu'une! A premiere vue, l'imagination n'etait pas tellement absurde, et je sentis la rougeur me monter au front. Mais un examen de quelques secondes me rassura. --Ecoute, repondis-je tranquillement en designant le Murillo du bout de mon menton. Si on disait demain au conservateur du Louvre: " Cette toile qui est accrochee la sort du pinceau de mademoiselle Rosie ", penses-tu qu'il s'y laisserait prendre? --Helas! soupira ma cousine. --Eh bien, les lettres que j'ai dans ma poche ressemblent a ce que cette...coquine peut ecrire et penser comme la peinture de Murillo ressemble a ta peinture. Tu admettras bien que je suis a meme d'en juger. Rosie baissa la tete sur sa toile, un peu mortifiee sans doute de ma franchise a l'egard de son talent. Je lui dis en prenant conge d'elle: --Bientot j'irai voir l'oncle Jean, mais seulement apres que la dame aux pensees m'aura repondu. J'aurai du plaisir a te montrer sa lettre, et cependant mes confidences t'ennuient peut-etre. --Bah! fit ma cousine avec son bon sourire, il y a longtemps que j'y suis habituee. Au fond, elles m'amusent. Nous nous quittames sans rancune apres une cordiale poignee de mains. Tout en descendant l'escalier aux larges marches, je me disais: --Positivement, cette Rosie devient une jolie fille.... Mais quelle personne prosaique! XVI --Je savais deja ton retour d'Orient par ma petite-fille, et je pense que tu viens m'annoncer ton depart pour Vaudelnay. Tes parents doivent t'attendre. Mon oncle m'accueillit par ces paroles quand j'allai lui presenter mes devoirs, quelques jours plus tard, ayant dans mon portefeuille une lettre que j'avais prise le matin meme a la poste restante. Partir pour Vaudelnay! M'eloigner de l'adorable femme dont les lignes tendres, genereuses, consolantes reposaient sur mon coeur: comment avoir ce courage! Et pourtant juin finissait. Encore une quinzaine et ma derniere inscription de droit avant les vacances devait etre prise. Quant aux examens, je n'aurais pas ete moins prepare a subir ceux du doctorat en medecine. Depuis quelques mois, je n'avais guere le temps de songer au Code et aux Institutes. Mais quel pretexte imaginer afin de ne point quitter la capitale? --Pour le moment, repondis-je evasivement, mes projets sont encore tres vagues. Cette fois je n'osais plus parler a mon oncle de sa propre visite chez nous. Il etait paye pour ne pas trop compter sur la fidelite de ma memoire en certaines circonstances. Des que je pus etre seul avec Rosie, j'abordai le sujet qui me tenait au coeur avant tous les autres. --Je suis bien malheureux! m'ecriai-je. Lis cette adorable lettre. Tu n'y trouveras pas une parole, pas une virgule qui ne montre clairement que la femme qui l'a ecrite etait faite pour moi. C'est a peine si elle me connait, et son coeur me devine avec une sorte de penetration surnaturelle. Ce qu'elle me dit est precisement ce qu'il faut me dire. Elle m'aime sincerement, d'un amour qui m'eleve a mes propres yeux, qui embellirait toute ma vie. Je sens qu'elle pourrait faire de moi un homme serieux et bon. Elle m'a rendu meilleur deja. Est-il possible que ma destinee soit de ne jamais connaitre meme son nom! Ma cousine lisait lentement, en s'appliquant beaucoup, comme si elle eut dechiffre quelque passage ecrit dans une langue peu familiere, qu'il fallait traduire ligne par ligne. Cependant, si froide qu'elle fut, on pouvait voir a certaines emotions fugitives de son visage qu'elle prenait du plaisir a la lecture. --Oui, dit-elle en me rendant le papier. Je commence a croire que cette femme parle sincerement, qu'elle est prise pour toi d'un attachement veritable. Mais,--tu es plus expert que moi dans ces matieres,--qui sait si vous gagneriez l'un et l'autre a sortir du nuage qui plane sur vous? Je voyais, l'autre jour, une toile qui represente Psyche. Il me semble que son histoire a du rapport avec la votre. Fini le mystere, fini l'amour! --Et il me semble a moi, dis-je en la menacant, que miss Pot-au-Feu se moque de son cousin. --Ah! je te jure que non! repondit-elle avec un grand serieux. --Alors, je n'y comprends plus rien. Tu te deranges. Mais tu passes d'un extreme a l'autre. Je voudrais bien te voir adoree toute ta vie par un monsieur dont tu ne pourrais rien dire: ni s'il est beau, ni s'il est affreux, ni s'il est blond, ni s'il est maigre, ni s'il est vieux.... Et encore, chez un homme, ces choses-la tirent moins a consequence. Ah! tiens, je sais bien ce qui arrivera si ma cruelle amie s'obstine a se cacher. --Moi aussi, je le sais bien. Tu abandonneras l'entetee a son malheureux sort et tu epouseras une bonne femme qui te la rappellera dans le peu que tu sais d'elle, mais dont tu auras pu juger par toi-meme l'age, la figure et le reste. Il me semble que ce denouement n'est point si mauvais. --Mauvais ou non, il est impossible. Je mourrai garcon, laissant a ton deuxieme fils la fortune et le nom des Vaudelnay. --Tu divagues, fit ma cousine en haussant les epaules. Et notre entretien fut termine pour ce jour-la. Dans le moment de l'annee ou nous etions, Paris n'existait plus au point de vue du monde; mes jours et mes soirees se trainaient sans distractions, je parle des distractions honnetes. Quant aux autres, dans l'etat de quasi perfection ideale ou je me trouvais, la seule pensee de les avoir connues jadis me faisait horreur. Ma seule ressource etait dans la conversation de ma cousine; je m'amusais a la convertir tout doucement a mes theories sentimentales. Je la voyais quotidiennement, soit au musee, soit rue d'Assas. Un jour elle me dit en riant: --N'as-tu pas peur de me jouer un vilain tour en faisant pousser des ailes sur mon dos? Quand elles auront toutes leurs plumes, je serai bien avancee derriere les barreaux de ma cage! Au moins, maintenant, je n'ai nulle envie de m'envoler vers le pays des reves. --Je ne suis pas inquiet pour toi, repondis-je. Tes ailes, si tant est qu'elles poussent vraiment, ne te serviront jamais beaucoup. Tu te souviens de ces volatiles sedentaires que nous allions voir ensemble a Vaudelnay.... --Fort bien: les canards de la basse-cour. Grand merci de la comparaison! --Voyez un peu la grincheuse personne! Qui parle de canards? Ce sont les cygnes que je voulais dire, mademoiselle. Jamais ni toi ni moi ne les avons vus s'envoler. --C'est qu'ils se trouvaient heureux ou ils etaient. En prononcant ces paroles, Rosie avait courbe sa tete fine sur son chevalet, avec une ondulation de cou si harmonieuse que je trouvai ma comparaison beaucoup plus juste qu'elle n'en avait l'air. Le 10 juillet, je recus une lettre de mon inconnue. Si j'ai conserve le souvenir de cette date, c'est qu'elle marqua la fin d'une correspondance qui m'avait donne un immense bonheur durant trois mois. Non, je ne devais plus revoir cette grosse ecriture deguisee et cette signature fleurie qui me confirmait de si charmants aveux. Ce jour-la, au lieu d'une seule pensee, la main mysterieuse en avait dessine tout un bouquet, groupe avec un art exquis, bien qu'il fut aise de voir qu'elles etaient jetees sur le papier a la hate et sans recherche. Dans ces quatre pages, serrees comme pour ne pas perdre la moindre place, vibrait toujours la meme tendresse grave, on pourrait dire maternelle, mais avec un abandon plus intime ou l'on sentait je ne sais quoi d'hesitant et d'attendri. La lettre finissait par ces lignes: " Et maintenant, cher, nous allons partir. Les champs nous reclament; ce Paris brulant n'a plus assez d'air pour nous. Disons-lui donc adieu pour quelques mois. Toutefois, soyez tranquille. Vos lettres me parviendront, expediees a l'adresse ordinaire, et vous aurez les miennes, qui continueront a passer par Paris, car vous ne saurez point ou je suis allee. Que vous importe ce que vous ne savez pas, a cote de cette chose dont vous etes sur! Ne sentez-vous pas que je vous aime? Voyez plutot c'est moi, maintenant, qui ai besoin de vos lettres; c'est moi qui vous les demande. Ne m'oubliez pas a Vaudelnay ou l'on s'amuse beaucoup, m'a-t-on dit. Du moins, ami cher, si vous m'oubliez, que ce soit pour une jeune fille digne de vous et qui sera votre femme. Choisissez-la bien quand l'heure viendra. Vous savoir malheureux, ou une autre malheureuse par vous, serait la douleur supreme de ma vie. " Du moment ou _elle_ quittait Paris, je n'avais plus de raison pour y rester. Je preparai donc tout pour mon depart, mais la perspective d'une agitation mondaine semblable a celle de l'annee precedente m'etait insupportable. J'ecrivis a ma mere que je me sentais fatigue, que je desirais vivement jouir du repos le plus complet durant les premieres semaines de mon sejour a la campagne. Par la meme occasion, je parlais a mes parents de mon projet d'enlever ma cousine et mon oncle et de les amener avec moi. J'expliquais cette idee--non sans un peu d'hypocrisie--par le desir de procurer a la jeune fille et au vieillard une saison de villegiature utile a leurs santes. Mais, pour dire le vrai, je ne pouvais plus me passer de ma confidente ordinaire. Seul a Vaudelnay, sans avoir personne a qui parler de la dame aux pensees! Il y avait de quoi mourir. Ma mere me repondit courrier par courrier en m'envoyant une invitation pressante pour l'oncle Jean et sa petite-fille. Que dis-je: inviter! On les suppliait de faire une longue visite a la vieille maison qui etait toujours la leur, qui l'avait ete si longtemps pour l'un d'eux! La seule objection, la difficulte du voyage pour les jambes raidies par l'age de mon oncle disparaissait, puisque le trajet devait se faire, sous mon escorte. Je savais comment m'y prendre pour enlever d'assaut le consentement du peu flexible baron. J'allai chez lui a l'heure ou je supposais que sa petite-fille etait au Louvre. --Oncle Jean, dis-je, vous voyez devant vous un ambassadeur et voici mes lettres de creance. Je lui remis l'invitation de ma mere. L'epitre lue avec quelques froncements de sourcil que j'interpretai sans trop de peine: --Ta mere est toujours bonne comme je l'ai connue, dit mon oncle. Mais ce qu'elle demande est bien difficile. --Cela serait dix fois plus difficile qu'il faudrait encore le faire, prononcai-je gravement. Rosie tombera malade si son ete se passe a Paris. J'avais touche juste. Le grand-pere de ma cousine bondit comme il aurait fait, cinquante ans plus tot, a une parole malsonnante. --Rosie malade! s'ecria-t-il. Qu'en sais-tu? --Elle change, repondis-je avec aplomb. Ses traits se tirent, ses yeux s'agrandissent; l'abus du travail lui voute les epaules. Il y a trois jours, pendant une courte visite que je lui ai faite au Louvre, elle a tousse plusieurs fois...d'une mauvaise toux. --Elle ne se plaint jamais. --Parbleu! si vous attendez qu'elle se plaigne!.... Elle sait que tout deplacement vous est incommode, et c'est une fille si prompte a se sacrifier! --Oui, tres prompte a se sacrifier, repeta mon oncle dans un echo qui ressemblait a un grognement. Il me tourna le dos avec une sorte de mauvaise humeur, comme si j'etais responsable de l'esprit d'abnegation de ma cousine. --Quand elle rentrera, je lui parlerai, dit-il bientot entre ses dents. Et, pas plus tard que demain je veux qu'elle consulte. --Pas plus tard que demain, mon cher oncle, elle, vous et moi serons dans l'express de Poitiers, ne vous deplaise. --N'allons pas si vite, mon neveu. Si ma petite-fille est malade, c'est aux eaux que je dois la conduire. Je ne sais pas d'endroit plus humide que Vaudelnay. Mes rhumatismes peuvent en dire quelque chose. Quelle singuliere lubie de ne pas vouloir venir chez nous! Comment expliquer cette resistance? Par la rancune du passe? Comme je me posais ces questions, nous entendimes la voix de Rosie qui chantait dans l'antichambre. --Tiens, ecoute comme elle est malade! dit l'oncle Jean. Mes plans s'en allaient a vau-l'eau. J'essayai pour la seconde fois d'enlever l'affaire par surprise, en frappant ailleurs. --Veux-tu que nous partions tous ensemble pour Vaudelnay? demandai-je avant que mon oncle eut le temps de dire un mot. Ton grand-pere en meurt d'envie; mais il a peur de te contrarier. Le rossignol s'etait tu subitement. Les jolies joues roses devinrent blanches comme des lis. --Partir pour Vaudelnay?...tous ensemble!.... Oh! mon Dieu, quel bonheur! soupira ma cousine en se laissant tomber sur une chaise. --Animal! me cria mon oncle. Voila une enfant qui va s'evanouir! --Quand je vous disais qu'elle est souffrante! repondis-je tout bas. Deja les couleurs vives reparaissaient. A en juger par les symptomes, cette maladie n'etait qu'une grande joie. Rosie demanda d'une voix qui aurait fait retourner mon oncle aux Indes: --Grand-pere! c'est vrai que nous partons? Elle me regardait, tout en questionnant l'oncle Jean. --Va vite commencer tes paquets, decidai-je audacieusement. Nous devons etre a la gare sur le coup de huit heures demain matin. Nous y etions tous avant sept heures et demie. Je ne me souviens pas qu'aucune journee de voyage ait passe pour moi plus vite que celle-la. Ma bonne action recevait deja sa recompense. XVII Plus vite encore que notre express, ma depeche avait couru sur son fil. Le chateau nous attendait avec un air de fete, mais avec cet air discret des gens qui sont heureux pour eux-memes, et non pas pour leurs voisins. En apercevant le sommet des tours du manoir, par-dessus la ceinture des grands arbres, l'oncle Jean avait mordu sa moustache et nous n'entendimes plus le son de sa voix jusqu'au moment ou le landau s'arreta dans la cour. Quant a Rosie, elle parlait pour deux, poussant des exclamations de joie a chaque tournant du chemin, appelant par son nom chaque paysanne qui se levait de son banc pour nous saluer, s'extasiant sur les embellissements du village. Mon pere et ma mere semblaient si heureux de l'arrivee des voyageurs, qu'il aurait ete difficile de decider lequel de nous trois etait accueilli avec plus de tendresse. Mais, pendant le diner, l'attention se detourna des autres a mon profit, et la conversation ne roula guere que sur mon expedition dans le Levant. Mon pere l'approuvait fort; il disait que ce desir de voir le monde et de s'instruire etait recommandable chez un jeune homme. L'oncle, un peu distrait, donnait des signes d'assentiment. Sans doute il refaisait en esprit ses traversees d'autrefois, et trouvait que la mienne, en comparaison, etait peu de chose. Quant a la seule personne qui fut fixee sur la cause veritable de mes exploits nautiques, elle confectionnait des bas-reliefs en mie de pain, se gardant soigneusement de tourner les yeux vers moi, de peur d'eclater de rire, je pense. L'oncle Jean et Rosie, fatigues de leur journee, regagnerent de bonne heure l'appartement de la petite tour, accompagnes par la chatelaine. Mon pere me dit, quand nous fumes seuls: --Ta cousine est superbe. Elle a les yeux, les sourcils, les cheveux d'une Italienne et le teint d'une Anglaise. Comment ne nous en as-tu jamais parle? --Mon Dieu, repondis-je, ma cousine est a peine une femme pour moi. Je la vois toujours telle qu'elle etait quand son grand-pere l'a deposee sur ce canape, tout endormie, un certain soir d'hiver. Au reste, nous sommes les meilleurs camarades du monde, mais si elle est Italienne par ses cheveux, elle est quatre fois Anglaise par son esprit positif. --Tiens, fit mon pere, c'est etonnant! Elle n'en a pas l'air. Apres tout, cela vaut mieux pour elle, car la pauvre petite ne sera point facile a marier. --Je doute qu'elle se marie jamais, repliquai-je d'un air profond. Je m'attends a la voir nous donner une nouvelle edition de tante Alexandrine. --A son aise! conclut mon pere. Seulement toi, ne nous donne pas une nouvelle edition de l'oncle Jean. --Pauvre pere! soupirai-je tout bas. Vous ne vous doutez guere que votre fils est amoureux d'une fee inaccessible, et que Gaston de Vaudelnay sera vraisemblablement le dernier de sa race! Le lendemain matin, je flanais dans le parc a la fraicheur. En approchant d'un gros platane sous lequel des sieges rustiques invitaient les promeneurs au repos, j'apercus une forme blanche assise dans une attitude reveuse. --Eh bien, Rosie, est-ce que tu regrettes deja ton musee, ton chevalet et tes madones? Elle tourna vers moi la tete en tressaillant, et je vis qu'elle avait les yeux pleins de larmes. --Non, dit-elle avec cette simplicite qu'elle conservait toujours. Mais je regrette l'age que j'avais quand nous travaillions ensemble a notre petit jardin, a cette meme place. --Je te conseille d'avoir des regrets! A cette epoque-la tu etais une petite fille assez laide, et maintenant.... --Et maintenant? repeta-t-elle en me regardant comme si elle eut ete a cent lieues de ce que j'allais dire. --Et maintenant tu es une personne remarquablement jolie. Elle avait l'air si etonne, si incredule, que je me hatai de citer mon auteur. --Mais certainement; mon pere me l'a dit pas plus tard qu'hier soir. --Ah! fit-elle avec modestie; c'est mon oncle.... Il est vraiment bien bon. Je dus convenir en moi-meme qu'elle etait fort jolie, en effet. Sous son peignoir de mousseline aux nuances claires, pauvre " confection " qui aurait fait pleurer de honte une elegante, sa taille trouvait moyen de laisser voir toute sa grace. Son visage aux traits classiques rayonnait d'un eclat de jeunesse eblouissant. Les pieds et les mains etaient admirables. --C'est singulier, pensai-je, comme on voit mieux certains details a tete reposee! J'aurais passe vingt ans aupres de cette charmante personne, dans le tourbillon de Paris, sans m'apercevoir de ses avantages. Notre premiere semaine de sejour a Vaudelnay fut delicieuse. Le voisinage ignorait encore que le chateau fut si bien habite, et j'avais conjure ma mere de prolonger le plus possible cette ignorance. Apres tant d'annees qui me separent de cette epoque, il me serait malaise de dire a quoi nous occupions nos journees, Rosie et moi. Je sais seulement que nous etions toujours ensemble et que le soir arrivait sans que nous fussions las l'un de l'autre. Bien entendu, nous parlions les trois quarts du temps de la dame aux pensees. Chere creature! Ou etait-elle en ce moment? dans les montagnes? au bord de la mer? ou bien dans quelque villa pleine d'ombre, entre son mari et ses enfants,--tout bien examine, nous avions decide qu'elle etait mere,--plus belle encore du combat livre par son devoir austere a sa tendresse mysterieuse. Encore trois jours, encore deux jours, demain j'allais voir arriver la lettre attendue! --Oh! Rosie! comme je voudrais etre a demain! A cette oraison jaculatoire, ma cousine ne repondit rien, et, pour la premiere fois, je vis une ombre passer sur son visage, ombre d'ennui sans doute. Mais, de bonne foi, pouvais-je lui en vouloir si le courrier tant desire l'interessait moins que moi? Le facteur vint sans aucune lettre, ou du moins sans _sa_ lettre. Il en fut de meme le lendemain, le surlendemain, les jours suivants pendant une semaine. Ah! qu'il etait loin, le calme des premieres heures du sejour au chateau! Que m'importaient alors mes parents, le parc et ses promenades, mes chevaux morfondus a l'ecurie! Seule, ma compatissante cousine pouvait me comprendre et, dans une certaine limite, me consoler. D'apres elle, ce retard qui me rendait fou d'angoisse etait amene par une cause passagere, et je ne devais point en concevoir d'alarmes. Quelque voyage differe, quelque arret imprevu dans un endroit sans ressources, quelque devoir de famille pouvait seul empecher ma correspondante de tenir sa promesse, toujours si fidelement gardee jusque-la. --Et si elle est malade? et si elle est morte? Jusqu'a cette heure, j'esperais, malgre tout, la connaitre tot ou tard. Faut-il donc renoncer pour toujours a cette joie? Plains-moi, Rosie, car je suis bien malheureux! Je compris alors pour la premiere fois tout ce que le coeur d'une femme peut contenir de bonte compatissante, meme a l'age ou ce coeur semble fait pour porter des fleurs moins melancoliques. Patiente comme une esclave d'Orient habituee aux caprices de son maitre--les miens, il faut l'avouer, n'avaient rien qui rappelat, meme de loin, ceux d'un pacha--ma cousine quittait tout, si je l'appelais d'un geste, pour causer avec moi, c'est-a-dire pour ecouter mes doleances. Parfois elle protestait doucement contre ma tristesse. Elle me repetait souvent: --Un etre humain n'a pas le droit de maudire sa destinee, quand il possede l'assurance d'etre sincerement, fidelement aime. Ces arguments par trop platoniques me touchaient assez peu, et je pretendais qu'on me proclamat le plus malheureux des hommes, tout en reconnaissant que j'en etais aussi le plus tendrement console. --Ma pauvre Rosie, disais-je en serrant sa petite main dans les miennes, si je pouvais oublier celle qui m'oublie, c'est pour toi que je voudrais l'oublier! --Et moi je suis certaine qu'elle pense a toi plus que jamais, repondait ma cousine. Dans quelques jours tout s'expliquera; j'en ai le pressentiment. Impossible de la faire demordre de cette belle assurance, qu'elle arrivait quelquefois a me faire partager pour une heure. Quand je parvenais a faire treve a mon chagrin, je trouvais en elle, aussitot, la plus charmante, la plus gaie, la plus amusante des compagnes. Je ne pus m'empecher de lui dire un jour, avec une envie secrete: --Sais-tu Rosie, que tu m'as tout l'air d'une femme parfaitement heureuse? --Mais j'en ai plus que l'air, dit-elle gravement. Je suis, quant au present, aussi heureuse qu'une femme peut l'etre. Grand-pere en trois semaines a rajeuni de vingt ans. Mon oncle et ma tante me traitent comme leur fille. Enfin tu ne saurais comprendre le bonheur que j'eprouve a revoir ce cher vieux Vaudelnay. --Eh bien, qui vous empeche d'y finir votre vie, l'oncle Jean et toi? Tu seras pour moi ce que la tante Frederique etait pour notre aieul. Et nous vieillirons ensemble, comme ils ont vieilli. Elle ferma les yeux, et cependant la perspective semblait mediocrement l'eblouir, car elle me repondit d'une voix un peu nerveuse: --Mes moyens ne me permettent pas de songer a l'avenir. Laisse-moi profiter de ce present, qui me repose. De fait, il etait facile de voir qu'elle jouissait en veritable sybarite de chacune des heures passees au milieu de nous. Tout l'enchantait, mais moins, a coup sur, qu'elle n'enchantait tout le monde. Quatre personnes se la disputaient du matin au soir, pour le plaisir de la voir et de l'entendre compatir a leurs maux. Les rhumatismes de l'oncle Jean, les gastralgies de mon pere, les embarras administratifs de ma mere toujours debordee par mille difficultes de domestiques, de pauvres, de salles d'asile et de cures besoigneux, enfin les dechirements secrets de mon propre coeur, tout cela retombait sur elle sans l'etonner ni l'abattre. Et lorsque, dans nos entretiens de famille, l'oncle Jean parlait de leur retour a Paris, il se faisait un grand silence comme a l'annonce effrayante de quelque catastrophe prochaine. Quand Rosie, par chance, pouvait disposer d'une heure pour son agrement personnel, son bonheur etait de s'installer sous le grand platane de notre ancien jardinet, afin de lire quelques pages d'un livre prefere ou de mettre a jour sa correspondance. Un jour, vers le milieu d'un apres-midi de chaleur accablante, je passais pas la, juste au moment ou les premieres rafales d'un orage en formation detachaient de l'arbre enorme et faisaient tourbillonner au loin une envolee de feuilles jaunies. --Vite, ramasse tes papiers, ton encre et tes plumes, dis-je a ma cousine. Tu n'entends donc pas qu'il tonne? A quoi penses-tu? --A rien! fit-elle en tressaillant, car elle etait absorbee au point d'avoir ignore mon approche. --Ma parole! miss Pot-au-Feu prend des airs de Mignon, lui dis-je en plaisantant. La voila qui se donne le genre d'etre reveuse! Avant qu'elle put me repondre, un coup de vent plus fort s'abattit sur le buvard ou elle ecrivait. En une seconde, vingt feuilles de papier s'eparpillerent au loin, pele-mele avec les rameaux desseches du platane. Et tous deux de courir a droite, a gauche, a la poursuite des fugitives. Un feuillet plus grand que les autres semblait avoir porte un defi a mon agilite. Il voltigeait, rasant l'herbe courte du gazon, s'arretant, reprenant sa course, au moment ou j'allais l'atteindre, pour s'abattre plus loin comme une perdrix blessee. Par temperament, je m'acharne aux choses difficiles, quelles qu'elles soient. Je jurai que ce gibier d'un nouveau genre tomberait en mon pouvoir, et, de fait, je parvins a m'en saisir, grace a la faute qu'il commit en s'engageant dans un massif d'arbustes bas, aux rameaux enchevetres. --C'etait bien la peine de tant courir! m'ecriai-je en constatant que ma prise etait une vulgaire feuille de buvard. Non, pas si vulgaire. En y jetant les yeux, j'apercus quelque chose qui me cloua sur place, en depit du tonnerre qui grondait sur ma tete et des eclairs qui faisaient pousser, a cent pas de moi, des cris d'epouvante a ma cousine. Sans rien entendre et sans rien voir je considerais ce papier rose, comme si je venais d'y trouver l'arret de mon sort. Bientot l'averse dechainee m'obligea de prendre ma course vers le chateau, non sans avoir plie soigneusement ma trouvaille pour l'abriter dans la plus profonde de mes poches. Plus personne sous le platane; Rosie m'avait precedee. J'aimais mieux cela. Il me convenait de la revoir seulement un peu plus tard, quand j'aurais dissipe les derniers restes d'un doute, quand j'aurais ecoute, compris, ce qu'une voix inconnue murmurait a mon coeur eperdu de surprise. L'enquete preliminaire ne fut pas longue. Le temps de monter dans ma chambre, d'ouvrir mon secretaire, d'y prendre la derniere lettre de la dame aux pensees, d'etaler en regard cette feuille que je venais de ramasser, de comparer au bouquet trace sur le velin anglais celui qui s'etait imprime sur la surface spongieuse.... Deux freres jumeaux n'eurent jamais une ressemblance aussi parfaite! Idiot! aveugle! imbecile! egoiste! Ma Rosie bien-aimee! ma belle, mon aimante, ma fiere Rosie! Trop fiere, pauvre enfant! Defiante surtout, mais pouvais-je la blamer d'etre defiante!.... Helas! moi-meme j'avais pris soin de me faire voir a elle sous un jour peu propre a lui donner la foi. Je riais, je pleurais en melant sans ordre toutes ces exclamations opposees. Je repassais l'un apres l'autre cent souvenirs du temps jadis et de la veille. Comme je l'avais fait souffrir, cette enfant dont le coeur etait a moi depuis que les yeux de l'orpheline m'avaient apercu au seuil de la vieille maison, si severement hospitaliere! Comme, dans ma stupide fatuite, je l'avais torturee! Courageusement, obstinement, cette fille adorable dont je n'avais pas meme su voir la beaute m'avait conserve sa tendresse meconnue. Sans une plainte, elle avait devore, en cachant sa jalousie, les affronts de mes confidences. Pauvre, elle m'avait vu jeter l'or pour contenter mes caprices et ceux des autres. Sublime de sacrifice, de poesie, d'ideale passion, elle avait feint de rire de mes moqueries sur le peu d'elevation de son esprit. C'etait moi,--moi! qui l'avais baptisee d'un surnom ridicule!.... Le froid de mes vetements traverses par la pluie me rappela dans un monde plus reel. A cette heure, je n'avais pas le droit de m'exposer a la maladie. Ma vie appartenait a une autre. --Mon Dieu! m'ecriai-je en courant prendre des habits secs. Que de jours de bonheur perdus, deja! XVIII Au diner seulement, je retrouvai ma cousine. Elle aussi avait du changer de costume et, comme sa garde-robe etait peu fournie, la chere petite etait en grande toilette. Jolie a tourner la tete d'un roi, elle m'interrogea, comme toujours, de son regard humblement tendre d'amoureuse ignoree, pour voir si le maitre de son coeur etait content. Je detournai les yeux. Ils auraient tout dit et, pour le moment, je ne voulais rien dire; non, pas devant tout ce monde. La premiere rougeur de ma fiancee, la premiere joie de son doux triomphe, devaient etre pour moi seul. Encore une heure elle devait attendre. Chere bien-aimee, depuis si longtemps elle attendait--sans espoir! Comme tous les gens atteints du mal qui le minait, mon pere ne mangeait guere, et, pour lui, voir manger les autres etait un spectacle penible. Je ne dus pas beaucoup le faire souffrir ce jour-la. Sans rien dire, j'examinais ma cousine, ou, pour parler plus juste, je la devorais des yeux, decouvrant des tresors de charme et de grace dans le moindre geste de ses mains, dans la plus simple de ses attitudes. Je l'aimais de toute mon ame et de toutes mes forces depuis deux heures, mais ce que je venais d'eprouver ne ressemblait en rien au " coup de foudre " souvent decrit par les romanciers. Pendant de longues annees, mon heureux destin avait lentement, patiemment prepare mon coeur pour le bienfaisant holocauste. Un eclair avait suffi pour communiquer le celeste rayon. A cette heure, la flamme de l'amour brulait eblouissante, pour ne s'eteindre jamais. Le repas termine, je dis a ma cousine: --Allons voir si l'orage a fait beaucoup de mal aux arbres du parc. Ah! l'inoubliable soiree! Le ciel avait retrouve tout son azur, et c'est a peine si quelques gouttes brillaient encore au feuillage rafraichi par l'ondee bienfaisante. L'air n'etait plus qu'une exhalaison de seve triomphante, un parfum de fleurs tirees de leur lethargie et tout heureuses de revivre. Le parc entier semblait une salle immense, paree de verdure nouvelle pour quelque fete grandiose dont les premieres etoiles commencaient l'illumination. J'offris mon bras a ma compagne, galanterie peu ordinaire. Elle le prit sans me regarder, tres nerveuse d'une sorte de pressentiment vague, et nous marchames lentement dans la direction du fameux platane. C'etait la que je voulais lui ouvrir mon coeur. Quand nous fumes sous le grand arbre, je dis a Rosie, sans la faire asseoir sur le banc trop humide: --J'ai decouvert pourquoi la dame aux pensees ne m'ecrit plus. --Vraiment? fit-elle, curieuse de savoir dans quel dedale nouveau je m'egarais, car elle ne devinait pas encore. Et pourquoi donc? --Parce que ses lettres porteraient le timbre du bureau de poste de Vaudelnay. Comprends-tu, Rosie? Elle tressaillit et se mordit les levres. Evidemment elle cherchait un moyen de prolonger mon erreur, mais je repris en entourant sa taille de mon bras, ce qui la rendit toute tremblante: --Elle ne m'ecrira plus jamais, plus jamais, Rosie! Ma bien-aimee, que tes levres me disent, a cette heure, ce que me disait ta plume. Car la dame aux pensees, j'en suis sur maintenant, elle est la, sur mon coeur! Sans hesiter, d'une voix tres basse, elle prononca les cheres paroles, et dans les rameaux touffus, sur nos tetes, les oiseaux semblaient se taire pour les ecouter. --Est-ce bien vrai? demandai-je quand mes levres eurent quitte son front. Tu m'as ecrit tant de mensonges! --Pas un seul, jamais! Je t'ai toujours dit la verite. --Allons donc! Ce salon tres aristocratique ou nous nous sommes rencontres? --Trouves-tu les Vaudelnay de famille bourgeoise? --Non; mais cet etre mysterieux et jaloux auquel tu appartiens, ces devoirs qui t'enlevent ta liberte? Je te croyais vingt fois mariee, mere de famille, et tu m'as aide a le croire. --N'est-ce pas plus qu'un mari, plus qu'un enfant, ce grand'pere pauvre, ce vieillard de quatre-vingts ans, qui n'a que moi seule au monde, qui m'a devoue sa vie, a qui je dois tout? --Et cette crainte de te manifester a moi? Vraiment, tu aurais eu le courage de vivre et de mourir sans me dire ton secret? --Je le voulais d'abord, mais je ne m'en sentais plus la force. Je te l'aurais dit quand j'aurais ete une vieille femme. --Et pourquoi cela, je te prie? --Parce que je suis tres defiante, et Dieu sait si tes confidences pouvaient me rassurer. Parce que je te croyais incapable de me comprendre; parce que tu ne prenais pas la peine de me regarder. Et enfin,--elle baissa la voix,--parce que je suis tres fiere. --Rosie, lui repondis-je, il faut etre bonne jusqu'au bout. Fais-moi la grace d'oublier tous ces vilains _parce que_. Au fond, je te le jure, je n'ai jamais aime que toi. --Au fond! soupira-t-elle en cachant contre ma poitrine ses yeux qui se mouillaient. Ah! oui, bien au fond, alors! Car si je m'en rapporte a la surface.... --Je t'adore. Il n'y a plus pour moi d'autre femme. D'ailleurs tu as vu comme je suis fidele! --Depuis trois mois! la belle affaire! --Oui, mais sans te connaitre. Maintenant je te connais. Tu as tout: le coeur, l'esprit, le devouement, la tendresse, la poesie.... --Tu n'as pas honte? Souviens-toi du nom que tu me donnais. --Chut! je n'avais pas encore lu tes lettres. Et puis, Rosie, tu es si belle! Je t'admire autant que je t'aime. Quel bonheur que la dame aux pensees ne soit pas une autre que toi! Une pression de sa petite main souligna ces paroles, comme pour dire qu'elle etait heureuse aussi, la chere, simple, et loyale creature! Nous restames, je pense, de longues minutes sans parler. Tout a coup elle bondit hors de l'etreinte qui l'emprisonnait doucement. --Mais qui a pu te dire mon secret? s'ecria-t-elle en froncant le sourcil. Nul etre humain ne le connaissait. --Viens, dis-je. L'air est humide, il faut rentrer. Tout en marchant tu ecouteras l'histoire. Quand j'eus termine le recit tres court de ma poursuite apres la feuille de buvard emportee par le vent, elle dit d'une voix contenue et vibrante en meme temps: --Comme Dieu est bon! Oui, Dieu est bon, a certains jours. Il y en a d'autres ou il est bien cruel! Nous touchions aux marches du perron quand je m'apercus que nous avions oublie quelque chose de tres important, comme ces architectes etourdis qui batissent la maison et ne songent pas a l'escalier. --Rosie, dis-je, nous allons leur annoncer la grande nouvelle. Un des traits de son caractere etait de deguiser volontiers les emotions tendres qu'elle eprouvait sous une mutinerie apparente. Elle demanda d'un air degage: --Quelle grande nouvelle? --Que tu vas etre ma femme. Elle ne feignit pas la plaisanterie plus longtemps. Elle prit mes mains et, me regardant bien en face, les yeux sur mes yeux: --Cher, dit-elle, je t'appartiens. Parle comme tu voudras et quand tu voudras. Grand-pere sera bien heureux, car je suis sur qu'il avait son secret, lui aussi. Mon pere posa son journal quand il nous vit entrer. Ma mere ecrivait. L'oncle Jean, selon son habitude, avait regagne ses penates de la petite tour. Il se mettait au lit de bonne heure. --Eh bien! demanda mon pere, et cet orage, m'a-t-il casse beaucoup de branches? --Pas trop, dis-je. Mais eut-il rase la plantation entiere, nous devrions le remercier. Mes parents me regardaient bouche beante, ne comprenant rien a mon air emu. --Voulez-vous avoir pour fille la chere creature que voici? Nous nous embrassames tous je ne sais pendant combien de minutes, sans pouvoir parler, si bien que, quand nous retrouvames la parole, il n'y avait plus rien a dire. Desormais l'orpheline etait chez-elle dans la maison ou elle devait vieillir, mais pas comme la tante Frederique ni comme la tante Alexandrine, Dieu merci, pour la jeunesse future. Quand nous fumes seuls, mon pere et son tres heureux fils: --Tu pretendais l'autre jour, fit-il, que ta cousine " etait a peine une femme pour toi ". Il me semble que le changement est bien subit, et, maintenant que j'y pense, tout le monde a ete un peu vite en besogne, meme les gens raisonnables. Mais cette petite m'a tourne la tete a moi aussi. Je n'ai reflechi a rien.... Et tu es si jeune! J'interrompis mon pere dans ce bel acces de sagesse retrospective, pour lui raconter l'histoire de ma cousine " Pot-au-Feu " et de la dame aux pensees. --Mon ami, fit-il en se levant,--car l'heure s'avancait,--je ne souhaite qu'une chose: c'est que tu rendes a ta femme tout ce qu'elle te donne. Il me tarde d'etre a demain matin, pour aller causer de choses serieuses avec l'oncle Jean. Celui-ci, quand j'allai me jeter a son cou pour le remercier de sa reponse favorable, jeta sur moi un regard presque craintif, qui me ramena de quelque treize ans vers le passe. Car c'est avec ces yeux inquiets, suppliants qu'il avait regarde ma grand'mere, le soir ou il s'agissait d'obtenir que l'enfant sans pere ni mere fut accueilli sous le toit de Vaudelnay. --Tu l'aimes bien, n'est-ce pas?... me demanda-t-il. Jamais tu ne lui causeras une deception? Tu ne sais pas quelle tendresse exaltee ma pauvre Rosie a pour toi! Moi, je l'ai devinee depuis longtemps et j'ai bien souffert pour elle. Meme en ce moment, je suis effraye: elle t'aime trop! Tu tiendras sa vie dans tes mains--et la mienne aussi, tant que je serai dans ce monde. Je baisai la main de ma cousine, a genoux devant elle, et je fis cette simple reponse au vieillard, qui parut s'en contenter: --Oncle Jean, soyez tranquille! Lisbeth retourna seule rue d'Assas pour evacuer l'appartement. Puis elle revint assister au mariage de ses jeunes maitres. Deux mois apres, elle epousait elle-meme, comme j'ai dit plus haut, cet original de jardinier. * * * * * Quand je ne serai plus, mon fils trouvera ces lignes qui lui apprendront combien j'adorais la mere qu'il a trop peu connue...avec laquelle, devant ce papier, je viens de revivre durant quelques jours. Car _elle n'a pas vieilli a Vaudelnay!_ Dans nos projets, dans notre bonheur, dans cette imprevoyance de tout que nous apportait l'union de notre vie, nous n'avions pas songe que la mort pouvait accomplir la chose affreuse qu'elle a faite: prendre cette creature inoubliable, inoubliee!.... Que de fois j'ai du poser ma plume en retrouvant ces sourires et ces joies! La chere absente l'a vu. Elle sait comment je l'aimais, combien je la pleure quand personne ne me voit, quelle pensee ne me quitte pas, a l'heure ou les vivants croient mon esprit, ainsi que mon corps, parmi eux. Et, pour que le precieux souvenir dure encore quelque part, quand nous serons reunis la-haut, je viens de l'enfermer pieusement dans ces pages, de meme que, sous l'or et le cristal, on derobe au souffle destructeur du vent la fleur qui raconte les courtes minutes de joie, passees pour toujours. End of Project Gutenberg's Ma Cousine Pot-Au-Feu, by Leon de Tinseau *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MA COUSINE POT-AU-FEU *** This file should be named 7cnpf10.txt or 7cnpf10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 7cnpf11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 7cnpf10a.txt Produced by Julie Barkley, Juliet Sutherland, Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team. Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. 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If the value per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2 million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+ We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002 If they reach just 1-2% of the world's population then the total will reach over half a trillion eBooks given away by year's end. The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks! This is ten thousand titles each to one hundred million readers, which is only about 4% of the present number of computer users. Here is the briefest record of our progress (* means estimated): eBooks Year Month 1 1971 July 10 1991 January 100 1994 January 1000 1997 August 1500 1998 October 2000 1999 December 2500 2000 December 3000 2001 November 4000 2001 October/November 6000 2002 December* 9000 2003 November* 10000 2004 January* The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium. We need your donations more than ever! As of February, 2002, contributions are being solicited from people and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois, Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts, Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio, Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West Virginia, Wisconsin, and Wyoming. We have filed in all 50 states now, but these are the only ones that have responded. As the requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund raising will begin in the additional states. Please feel free to ask to check the status of your state. In answer to various questions we have received on this: We are constantly working on finishing the paperwork to legally request donations in all 50 states. If your state is not listed and you would like to know if we have added it since the list you have, just ask. While we cannot solicit donations from people in states where we are not yet registered, we know of no prohibition against accepting donations from donors in these states who approach us with an offer to donate. International donations are accepted, but we don't know ANYTHING about how to make them tax-deductible, or even if they CAN be made deductible, and don't have the staff to handle it even if there are ways. Donations by check or money order may be sent to: Project Gutenberg Literary Archive Foundation PMB 113 1739 University Ave. Oxford, MS 38655-4109 Contact us if you want to arrange for a wire transfer or payment method other than by check or money order. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been approved by the US Internal Revenue Service as a 501(c)(3) organization with EIN [Employee Identification Number] 64-622154. Donations are tax-deductible to the maximum extent permitted by law. As fund-raising requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund-raising will begin in the additional states. We need your donations more than ever! You can get up to date donation information online at: http://www.gutenberg.net/donation.html *** If you can't reach Project Gutenberg, you can always email directly to: Michael S. Hart Prof. Hart will answer or forward your message. We would prefer to send you information by email. **The Legal Small Print** (Three Pages) ***START**THE SMALL PRINT!**FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS**START*** Why is this "Small Print!" statement here? You know: lawyers. They tell us you might sue us if there is something wrong with your copy of this eBook, even if you got it for free from someone other than us, and even if what's wrong is not our fault. So, among other things, this "Small Print!" statement disclaims most of our liability to you. It also tells you how you may distribute copies of this eBook if you want to. *BEFORE!* YOU USE OR READ THIS EBOOK By using or reading any part of this PROJECT GUTENBERG-tm eBook, you indicate that you understand, agree to and accept this "Small Print!" statement. If you do not, you can receive a refund of the money (if any) you paid for this eBook by sending a request within 30 days of receiving it to the person you got it from. If you received this eBook on a physical medium (such as a disk), you must return it with your request. ABOUT PROJECT GUTENBERG-TM EBOOKS This PROJECT GUTENBERG-tm eBook, like most PROJECT GUTENBERG-tm eBooks, is a "public domain" work distributed by Professor Michael S. Hart through the Project Gutenberg Association (the "Project"). Among other things, this means that no one owns a United States copyright on or for this work, so the Project (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth below, apply if you wish to copy and distribute this eBook under the "PROJECT GUTENBERG" trademark. Please do not use the "PROJECT GUTENBERG" trademark to market any commercial products without permission. To create these eBooks, the Project expends considerable efforts to identify, transcribe and proofread public domain works. Despite these efforts, the Project's eBooks and any medium they may be on may contain "Defects". 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